Territoires de lutte, 2017
Une cartographie des territoires de lutte à travers la France.
« « Cercle du silence », « Manifestation », « Nuit Debout », « Goûter festif », « Grève illimitée »… Partout en France, des collectifs, des associations, des syndicats, des citoyens, se rassemblent, manifestent, prennent position dans l’espace public pour dire leur colère, leur exaspération, leurs envies et donner à voir leurs luttes. Ils se mettent en scène dans des espaces symboliques : devant les mairies, les églises, les tribunaux, les centres financiers. D’autres prennent un autre parti : celui de construire, en dehors des métropoles, de nouveaux modèles de travail, d’habitat, de consommation, de culture. Des luttes métropolitaines aux espaces ruraux des ZAD ou des collectifs autonomes, j’entame au début de l’année 2015 un projet sur ces territoires de luttes.
Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, l’état d’urgence est décrété en France. Il s’accompagne d’un recul des libertés individuelles : arrestations arbitraires, multiplication des procès de militants, perquisitions ou assignations à résidence d’activistes écologistes, manifestants tabassés, journalistes blessés ou empêchés de travailler.
Les personnes que je photographie, prenant acte de ce tournant, manifestent une défiance grandissante vis-à-vis de l’image : Un étudiant ayant subi une exclusion administrative pour avoir participé au blocage d’un amphi ne veut plus être identifié et reconnu par la direction de son université. Un réfugié souhaitant demander l’asile en Grande-Bretagne ne veut pas laisser de traces de son passage en France pour éviter qu’on ne l’oblige à demander l’asile ici. Un lycéen ne veut pas que ses parents voient qu’il participe au blocage de son lycée. Un travailleur en arrêt maladie ne veut pas que son patron le reconnaisse sur une photo où il aide des réfugiés dans un camp.
Des militantes féministes de Nuit Debout, fatiguées des photographies caricaturales qui leur sont régulièrement assignées dans les pages des magazines, refusent collectivement la photographie. Très régulièrement, sur le terrain, des gens me disent : pas de photo s’il vous plaît. Et je décide dans cette série d’en prendre acte, de prendre la mesure de ce refus. Ce travail proposait au départ une cartographie des territoires de lutte à travers la France. Au fil des mois, à mesure que se décident et s’appliquent des mesures de restriction des libertés publiques, une réflexion sur l’anonymisation photographique se superpose au projet, comme piste possible pour continuer à faire des images malgré tout. »
Jean-Robert Dantou