Oran, dans les pas de Kamel Daoud, 2015
Dans la ville d’Oran, le photographe Ferhat Bouda est allé à la rencontre du journaliste et intellectuel algérien Kamel Daoud, qui se confie sur l’Algérie et sur la »radieuse cité ». Entre l’homme et la ville, une étonnante proximité se tisse.
« Être algérien, c’est être schizophrène ». Ce sont les mots de Kamel Daoud pour décrire le sentiment qu’il éprouve pour sa nation, l’Algérie. Journaliste dans les colonnes du Quotidien d’Oran, où il tient depuis douze ans la chronique la plus lue d’Algérie intitulée « Raïna Raïkoum » (« mon opinion, votre opinion »), Kamel Daoud incarne la parole libre dans son pays.
Défenseur des libertés individuelles, l’intellectuel se heurte aux islamistes radicaux qui ont lancé à son encontre une fatwa en décembre 2014. Mais son regard critique embrasse aussi son pays natal. Ni laïque, ni religieux, l’État assume selon lui une indécision délibérée. L’Algérie reste discrète, voire secrète dans ses prises de décisions. Pour Kamel Daoud, les algériens n’avouent que trop timidement leur modernité. Prise entre le capitalisme occidental et les dogmes religieux, la population algérienne doit encore s’approprier sa propre identité.
Oran est le reflet de cette tension. Ville marquée par un caractère méditerranéen, elle se réinvente jour après jour. Oran, creuset multiculturel où se sont rencontrés Berbères, Arabes, Juifs, Espagnols, Ottomans et Français, exprime ses différences au quotidien, comme en témoigne encore le quartier de Sidi El Houari. Églises et mosquées sont des lieux de sociabilité et de culture, tandis que la scène musicale, où jadis se lancèrent des stars du Rai, bat encore son plein et fédère une jeunesse dynamique. Les femmes n’hésitent pas à sortir sans leur mari pour se balader dans les rues piétonnes et se laisse appâter par des marques de luxe. Entre renouveau et tradition, liberté et introspection, un vent complexe berce la belle côte d’Oran, qui inspira Albert Camus et son contradicteur moderne, Kamel Daoud.