White Islands of the South Sea, 2018
Au XIXe siècle, les mineurs utilisaient de petits canaris pour assurer leur sécurité. Sensible aux émanations de gaz toxiques indétectables pour les humains, l’oiseau servait de sonde de référence : lorsqu’il s’évanouissait ou mourait, les mineurs évacuaient la mine, conscients de l’imminence d’une explosion.
La république de Kiribati est le canari du XXIe siècle.
Kiribati se compose de trois archipels perdus au milieu du Pacifique Sud, à la fois sur l’équateur et la ligne de changement de date, ses plus proches voisins sont d’une part l’Australie (8h d’avion) et, d’autre part Los Angeles (11h d’avion).
Aujourd’hui ce petit pays d’environ 100 000 habitants est le théâtre d’un drame qui nous concerne tous : avec le réchauffement climatique et la montée des eaux, il coule. D’ici vingt ans, ses atolls ne seront plus. Le canari agonise et nous mineurs, l’ignorons.
À Kiribati, le choc de la menace écologique contraste avec l’aspect paradisiaque des paysages et le mode de vie simple de ses habitants. Ironie du destin, ce pays méconnu, dont l’empreinte environnementale est quasi inexistante, se retrouve parmi les premières victimes des changements climatiques.
Anate Tong, Président de la république Kiribati, a acheté en 2014 des terres sur les îles Fidji afin de sauver sa population. L’exode commencera d’ici peu, mais les liens profonds qui unissent un peuple à son territoire ne se transportent pas.
Si la disparition est certaine, elle n’est pas toujours spectaculaire. Inexorablement, la mer monte et inonde les villages tous les jours un peu plus. La météo toujours plus instable renforce les tempêtes et emportent sous les flots des arbres centenaires. Et parfois, parfois aussi la pluie disparaît. Le paradis se déglingue.
Pendant ce temps, la population qui vivait entourée d’eau vit maintenant les pieds dedans. Chaque jour ou presque, les habitants déplacent de quelques mètres leur maison ou reconstruisent inlassablement des murs de coquillages pour résister à l’assaut des vagues. Étonnamment, sans pour autant ignorer ce qui arrive, les témoignages de la population locale ne font apparaître aucune nostalgie du passé ni crainte de l’avenir.
Pourtant, la densité de l’air ressemble parfois à une caresse quand de la mer étincelante s’élève à peine un murmure apaisant. On pourrait sentir là combien le monde, certains jours, nous offre la trompeuse impression d’être un lieu accueillant, fait à la mesure des rêves et des plus étranges désirs de l’homme.
Si le thème de la disparition nous fascine autant c’est aussi parce qu’il imprègne notre photographie. L’utilisation de films périmés aux chimies altérées, les entrées de lumières dans les soufflets de nos chambres photographiques « home made » aux lentilles optiques anciennes et imprécises effacent et voilent nos images. Ces absences que nous revendiquons provoquent en nous l’étonnement et permettent d’entrevoir un univers que notre œil ne capte pas.
Mais ici, il ne s’agit pas seulement de disparitions liées à notre écriture. Rattrapés par notre sujet, c’est lui qui disparaît. Ces images conserveront une partie du secret, nous permettant seulement de capturer un monde qui sombre en le couvrant de prudentes attentions jusque dans ses fêlures.
Aline Diépois & Thomas Gizolme