Watching and Killing, 2024
Cette série d’images regroupe des photographies d’écran, représentant un détail de vidéo produite par des drones transformés pour lâcher bombes et grenades sur les troupes russes et utilisés par l’armée ukrainienne sur le front.
Les clips vidéos dont elles sont issues sont diffusés sur les réseaux sociaux et boucles de messageries où le photographe les a trouvés, sélectionnés, édités et photographiés en choisissant délibérément le cadrage.
Parfois on distingue des traces d’explosion ou les ruines d’un bâtiment, la ligne d’horizon est rarement visible puisque l’objectif pointe souvent vers le sol. Des silhouettes sont reconnaissables : il s’agit de soldats sur une ligne de front. Des informations comme la date de diffusion et le lieu de prise de vue nous apprennent qu’il s’agit de la guerre en Ukraine.
L’invasion russe en Ukraine s’est rapidement transformée en guerre totale au cœur de l’Europe. Face à une armée adverse bien plus pourvue en hommes et en matériel, l’Ukraine a dû s’adapter et trouver de nouvelles manières de combattre.
Ses lacunes, du côté de l’armée de l’air notamment, ont poussé l’armée ukrainienne à composer avec le peu de moyens disponibles et à développer des attaques avec de simples drones, destinés au départ au grand public et équipés d’une caméra. Ces drones de type « FPV », acronyme anglais pour « pilotage en immersion », sont des drones kamikazes qui transportent des grenades ou des roquettes et attaquent de manière très ciblée les positions militaires russes et leurs soldats.
Des deux côtés de la ligne de front, ces engins sont devenus un enjeu majeur, à tel point que les véhicules militaires sont, depuis quelques mois, équipés de brouilleurs de drones.
Avec cette série, Guillaume Herbaut interroge le statut changeant et mouvant que l’on peut conférer à ces images : captation de l’état de la ligne de front, elles sont une mine d’information à la fois pour les opérateurs de drone qui l’utilisent au cœur de la bataille, puis pour le public qui n’aurait jamais pu approcher le théâtre des opérations d’aussi prêt.
Enfin, comme tout document de guerre, il est ensuite utilisé à l’arrière pour servir des causes de propagande et de désinformation. Ainsi, chacune de ces vidéos circule abondamment de boucles Telegram post TikTok pour galvaniser le soutient à l’effort de guerre.
L’histoire des conflits ainsi que celle de leur traitement médiatique nous apprennent que si les évolutions technologiques sont parfaitement intégrées à l’évolution guerrière, des similitudes et des échos se font entendre d’un champ de bataille à l’autre.
Ainsi, la Première Guerre mondiale a marqué l’entrée de la photographie amateure dans la guerre moderne mais aussi l’arrivée de la photographie aérienne, permettant pour la première fois de capturer des moments de combats et d’avoir une vue unique sur les champs de bataille. Comment ne pas y voir un parallèle avec le conflit en cours ?
Aujourd’hui, en Ukraine, les drones ne sont pas seulement des outils militaires, mais également des moyens de propagande visuelle. Les vidéos filmées par ces drones capturent des moments de guerre inédits, où la destruction et la mort sont retransmises presque en direct modifiant notre rapport à la guerre. Et cela est vrai non seulement pour les soldats sur le terrain, mais aussi pour ceux qui, à distance, sont témoins de ces événements retransmis via les réseaux sociaux.
Ce changement interroge la place et le rôle du reporter de guerre dans l’ère numérique, où ces images circulent rapidement et façonnent l’opinion publique de manière instantanée. Comment traiter ces images, qui capturent l’horreur de la guerre en direct, tout en préservant une distance critique et éthique face à ce « spectacle » de la violence ?