Tenir, Arriver, Photographier
Tonnerre, 2017 – 2024
Qu’est-ce que cela fait à des personnes en situation de précarité d’être déplacées dans une ville dont elles ignoraient jusqu’alors l’existence ?
C’est autour de cette question que le photographe Jean-Robert Dantou a mené pendant sept années, dans le cadre d’un doctorat en Recherche – Création (SACRe – ENS – PSL), une recherche en photographie documentaire dans une commune de l’extrême périphérie de l’agglomération parisienne.
La ville de Tonnerre (Yonne) connaît depuis les confinements de 2020 et 2021 un regain de dynamisme : installation d’investisseurs dans le secteur de l’immobilier et de la formation, nouveaux commerçants, professions libérales et entrepreneurs travaillant dans le domaine de l’art ou de l’économie sociale et solidaire. Ces changements récents viennent clore une période de profondes transformations qui, depuis les années 2000, mettent en péril les équilibres sociaux, économiques et démographiques du territoire. La commune est notamment confrontée à des mécanismes en spirales : l’effondrement industriel entraine un appauvrissement des ménages et le départ de pans entiers de la population, la baisse démographique qui en découle est redoublée, à l’échelle nationale, par des politiques de fermeture des services publics, ces fermetures aggravent à leur tour la baisse démographique et entraînent d’autres effondrements en cascade, qui touchent par exemple les commerces de centre-bourg.
Loin des stéréotypes sur la stabilité immémoriale des espaces ruraux, Tonnerre est ainsi confrontée, dans son histoire récente, à de profondes mutations qui prennent notamment la forme d’un important renouvellement démographique : plus du tiers des habitants de la commune vivent aujourd’hui à Tonnerre depuis moins de cinq ans.
Des personnes de toutes origines sociales et géographiques sont arrivées dans la ville au cours des dernières années. Parmi elles, certaines sont arrivées sans vraiment le vouloir : Comment s’organisent alors ces déplacements ? Qui en est à l’origine ? À quelles logiques institutionnelles obéissent-ils ? Quel est le degré de contrainte exercé sur les personnes ?
L’enquête menée auprès d’une quarantaine d’habitants arrivés récemment par des voies de précarisation a permis d’identifier huit « filières », chacune d’entre elles répondant à ses propres logiques. Certaines font intervenir des « prescripteurs » : ce sont alors des professionnels du champ médico-social qui « envoient » des personnes en situation de grande fragilité depuis un territoire vers un autre. D’autres se déroulent sans prescription : les personnes arrivent alors par elles-mêmes, de manière informelle, avec ou sans réseau d’interconnaissance.
Cette recherche documentaire s’organise autour de cinq ensembles de photographies. Les trois premiers sont consacrés à la description de filières d’arrivée de personnes précarisées dans la ville : « Arriver par les hébergements d’urgence », « Arriver de manière informelle », « Arriver par la Résidence Accueil ». Le quatrième, intitulé « Tenir », s’intéresse à la manière dont les habitants de longue date, qui ont le souvenir des heures prospères du centre-bourg, font face aux bouleversements quotidiens auxquels ils sont confrontés. Le cinquième et dernier ensemble propose un jeu de piste méthodologique : Comment se construit une enquête en photographie documentaire ? Qu’est-ce que les personnes photographiées confient lorsqu’elles se prêtent au jeu d’une séance photographique ? La photographie peut-elle constituer un outil fiable au service d’une entreprise de connaissances ?