Le Capteur I, 2010
« L’histoire, la mémoire, le voyage, le récit, la déambulation sont autant de paradigmes liés au temps et qui font images dans la production photographique de Bertrand Carrière depuis les tous débuts de son parcours artistique. Boulimique de la prise de vue, celui-ci pour son projet Le Capteur a fait corps avec un appareil numérique léger et discret, captant presque quotidiennement depuis 2006 les lieux publics, espaces privés, familles, amis ou inconnus, renouant avec la portée autobiographique qui a toujours étayé son travail. Cette vertigineuse collecte d’images personnelles, sorte d’atlas photographique, allait tout naturellement se décliner sur le support du livre, témoignant de l’attachement indéniable de cet artiste pour le journal intime.
Techniquement, l’accumulation des images fut soumise à la seule logique des cartes mémoires de l’appareil, celles-ci étant vidées mensuellement. Ces compilations ponctuelles tiennent lieu de chapitres au sein d’une odyssée intérieure qui se déploie dans les quarante-deux livres créés à ce jour, chacun d’eux correspondant ainsi à un seul ou plusieurs de ces chapitres.
Bertrand Carrière exploite ici le pouvoir discursif de la photographie sous forme d’écriture automatique où toute hiérarchie des genres est abolie, forçant des rencontres iconographiques imprévues, des coïncidences événementielles et temporelles improbables, le banal côtoyant l’insolite. Bien que l’acte impulsif de la prise de vue soit au cœur de cette
démarche, une méthodologie rigoureuse allait toutefois s’imposer, allant de la sélection de clichés à partir de l’imposante banque constituée à ce jour, jusqu’à leur jumelage sur la double page, requérant la méticulosité et la patience du monteur devant son écran. Il va sans dire que les alternances entre spontanéité et méthodologie, entre l’instantané de la captation et le temps long de la construction du récit, précisent encore plus clairement la place prépondérante qu’occupe le temps dans ce projet. »
Mona Hakim