Hakanai Sonzai, 2023
Entre décembre 2019 et août 2020, Pierre-Élie de Pibrac entreprend un voyage au Japon qui donnera naissance à deux séries, Hakanai Sonzai et Mono no Aware. Si l’utilisation de la couleur ou les sujets choisis semblent d’abord les opposer, chacune des séries doit cependant être lue en miroir de l’autre : l’expression Hakanai Sonzai signifie « je me sens moi-même une créature éphémère » et, le concept du Mono no Aware doit être compris comme l’émotion qui nous saisit face aux objets inanimés ou à la nature transitoire. Il souligne de ce fait avec délicatesse la fragilité des choses et leur mélancolie, tentant de saisir leur essence, il tend à montrer, par le particulier, une esthétique et une idéologie collective spécifiquement japonaise.
Hakanai Sonzai
Série de mises en scène de moment de rupture et de prise de conscience, Hakanai Sonzai n’en conte pas moins des histoires personnelles, construites à partir des récits des personnes photographiées. Dans une distance de respect envers ces dernières, les figures aux expressions absorbées semblent absentes, représentant alors un peuple « spectral », retiré en lui-même ou retirer de lui-même et constatant en un air insaisissable mais lucide la dépossession de leurs propres expériences autant que de leur être.
Ces visages, qui semblent en tout point impénétrables, renferment cependant les sentiments profonds qui les animent – comme si derrière la contemplation désenchantée de la situation recrée, moment de drame personnel, tous voyaient au-delà, sondant la condition humaine même dans tout ce qu’elle a de fragile, d’éphémère et d’insaisissable, constatant dans une brutalité discrète le secret d’une tragédie collective, celle d’être en vie, celle de savoir aussi qu’il ne s’agit que d’un instant fugitif.
Ces moments silencieux, figés comme une image dans la mémoire, lieux desquels l’individu ne peut s’échapper et souvenirs d’un apprentissage et d’une compréhension douloureuse et inoubliable de ce qu’est la vie, ne trouveraient-ils pas pourtant leur dépassement dans l’entreprise photographique de Pierre-Elie de Pibrac ? À la façon de l’expérience du fort-da de Freud, la (re-)création de ces situations donne l’espoir d’une possibilité de dépassement par la revivance des souvenirs, de la possibilité de s’en saisir, de les posséder activement et, alors, de reprendre possession de son identité même.