Chroniques d’un portraitiste, 1986
Gérard Rondeau a fait des dizaines de portraits. Ces femmes et ces hommes sont photographiés immobiles, comme avec lenteur. Rondeau leur laisse le temps de s’habituer à sa présence et, s’il se peut, d’en oublier l’indiscrétion. Il n’agit ni dans la précipitation d’un instant qui serait miraculeusement décisif, ni à la dérobée parce que ce serait bien trop simplifier l’exercice et parce qu’un homme, quel qu’il soit, ne tient décidément pas tout entier dans une attitude qu’il faudrait tenir pour caractéristique : son visage bien plus intéressant et instructif dans les moments de latence et d’incertitude, d’expectative et de repos. Aussi les sujets de Rondeau se présentent-ils le plus souvent dans une position qui suggère une immobilité d’au moins quelques instants, assis, appuyés contre un meuble ou un mur. Ou bien encore debout, les bras croisés ou le long du corps comme s’ils attendaient l’événement ou la parole qui décidera des gestes qui vont rompre leur immobilité fragile – mais ce sera à l’instant suivant, celui que l’on ne verra pas et que Rondeau ne photographiera probablement pas.
Philippe Dagen