Adrien Selbert — Srebrenica, nuit à nuit
FOCALE galerie
Place du Château – 1260 Nyon (Suisse)
Du 23 avril au 11 juin 2017
Convoitée dans la Yougoslavie de Tito pour ses sources thermales et la qualité de son air, Srebrenica a longtemps prospéré sur ses mines qui donnèrent à la cité son nom : la ville d’argent. Après l’épisode macabre de la guerre, l’argent s’est remis à couler dans la ville. Mais les sources thermales, elles, n’ont jamais rouvert. Devenue le symbole de la barbarie serbe comme de l’inanité de l’ONU à arrêter un génocide dans une zone dite « protégée », la ville a vécu pendant 20 ans sous généreuses perfusions des ONG. L’aide internationale a notamment permis les programmes d’aide au retour, la réouverture de quelques usines et la construction d’un supermarché flambant neuf au milieu des bâtisses défigurées par les tirs de mortiers. Vivre à Srebrenica, c’est faire l’expérience de ce temps indéfinissable qu’est l’après-guerre. Si chacun sait quand commence cet « après », qui peut dire quand il s’arrête? En déambulant dans cet espace où cohabite les témoignages des temps d’horreur et de paix, une question émerge : « Y’a t’il une fin à la fin de la guerre ? ».
En discutant avec les jeunes du coin, on devine que la nuit de l’histoire ne s’est jamais vraiment levée. Si le traumatisme est encore bien présent chez les survivants, les cicatrices affleurent toujours sur les façades. Pour les jeunes, tout ça fait sens. Qui continuerait à subventionner une ville totalement remise à pied? Pour que les internationaux continuent de s’émouvoir 20 après, il faut maintenir une partie du décor dans son jus. Pour le symbole et le business. Dans un pays largement corrompu, où trouver un boulot nécessite souvent de s’encarter, la jeunesse continue de s’interroger : où va l’argent ?La guerre est dans le décor, elle est aussi dans le tempérament rageur et désespéré de la génération post-génocide. La guerre, c’est celle qu’il faut mener au quotidien dans cet « après » qui vous colle au pied.
Quand on a 20 ans, comment grandir dans des vestiges, comment s’extraire de cette nuit sans fin? Impossible selon eux. Qui vient à Srebrenica, n’y vient pas pour sa rakia ou pour ses montagnes boisées (encore minées). Qui vient à Srebrenica s’y rend au mieux pour le « devoir de mémoire », sinon pour ressentir le frisson de l’histoire face à ce mur criblé, dans cette usine abandonnée, devant le visage buriné de cet homme… Qui vient à Srebrenica arrivera chargé de bonnes intentions sur l’entente entre les peuples et la paix des religions… L’enfer. L’enfer, c’est le regard de l’autre. Celui qui vous fait facho en puissance ou victime à plaindre selon vos origines. La jeunesse d’ici ne demande rien, merci pour elle.
Naitre à Srebrenica est une injustice pour qui a 20 ans et veut simplement boire et faire l’amour. Et tous les programmes d’aide n’y pourront rien.
Ademir, Milica, Merka, Miroslav ont l’âge du génocide.
Dans la nuit de l’histoire, la ville leur appartient.