Tu Mitonnes, 2019
Est-il photographe ? Graphiste ? Metteur en image de l’ordinaire et de l’extraordinaire ? Griot des Vosges et d’ailleurs ?
Emmanuel Pierrot est un peu et beaucoup plus que tout cela. De sa ferme vosgienne en passant par son atelier des faubourgs de Paris et les cimes du Kirghizistan, le monde est son cabinet de curiosités, son encyclopédie vivante. Qu’il soit derrière sa chambre photographique, dans son poulailler ou en train de couper du bois, il glane avec ses yeux et ses oreilles ces petits riens et ces grands tous qui font la vie. S’il paraît que le diable se loge dans le détail alors Emmanuel Pierrot en est le rabatteur.
Il débusque les dernières tomates et la première neige au col de la croix des Moinats pour en faire des natures jamais mortes qui deviennent des persistances rétiniennes. Qu’il illustre un article sur le philosophe Hartmut Rosa pour le Monde ou qu’il photographie un plateau repas à l’hôpital, il fait résonner l’air du temps et les maux de cette foutue planète pour nous proposer de raisonner, de nous émouvoir et peut-être aussi d’agir. En ce sens, il exerce sans doute le plus vieux métier du monde, celui des traceurs de vie qui œuvraient déjà sur les murs de la grotte de Lascaux. Ensemble, nous fricassons depuis un bail, chaque semaine dans Libération.
Notre plat du jour du jeudi s’intitule « Tu mitonnes ». C’est toujours dans la même cocotte, culottée par les saisons, les brèves de comptoir, les premières asperges, les pieds de cochon et le temps des cerises. La recette est simple : se nourrir étant le premier acte de l’existence et, souvent, l’un des derniers quand elle s’éteint, le boire et le manger sont de formidables portes d’entrée sur le vaste monde mais aussi l’intime le plus caché.
Tu Mitonnes raconte donc de ces histoires qui se nichent au coin de la rue comme de l’autre côté de la terre. Elles naissent dans les choux, au creux d’une pastèque ou d’une saucisse de Morteau et se terminent bien sûr toujours par des recettes. Le tour de force d’Emmanuel Pierrot est d’être à la fois aux fourneaux (le coquin il vient de dénicher une Lacanche d’occas) et au studio pour Tu mitonnes. Il en est le mitron, le Monsieur loyal photographe, illustrateur, plasticien, avec toujours une bonne dose d’humour et d’ironie tendre. Goûtez ses «carottes coquines», ses «lentilles dans la neige », ses «mirabelles lurette», sa «truite mélodie pour l’été», vous verrez, elles ont un goût de reviens-y.
Jacky Durand, vagabond culinaire à Libération