Too late !, 2006
J’ai essayé de fuir Paris et j’ai vécu deux ans à la campagne. Ca ne me convenait pas et je suis revenu à Paris récemment. A l’époque, loin de Paris, « Trop tard » est la sensation que je ressentais lors de chaque virée à Paris. J’était très sensible au stress et à la violence de cette ville, en particulier dans le goulot des transports en commun. Cette violence est exacerbée à l’heure de pointe, quand les salariés se pressent pour rentrer chez eux à la fin de la journée. Dans la ville nous sommes automatisés, nous sommes les rouages d’un méchanisme. A la gare Saint Lazare, quinze secondes avant le départ, une lumière rectangulaire rouge s’allume, accompagnée d’une sonnerie d’alarme, qui est le signal pour commencer à courir, sous peine de rater son train. Le méchanisme est simple, l’agent de la RATP appuie sur un bouton et les gens courent, comme un enfant ferait avec un jeu. Je voulais également souligner qu’en France, on ne peut pas publier une photographie d’une personne sans son accord écrit. Les bandeaux blancs, qui reprennent les rectangles lumineux de l’alarme, cachent le visage et réduisent l’humanité de la personne photographiée, qui ainsi s’intègre et s’éclipse dans l’anonymat de la machine.
Puisque « Trop tard » est un sujet violent, je voulais me faire violence. Je voulais tout faire à l’opposé de la façon dont je travaille d’habitude. Normalement j’ai un rapport proche avec les personnes que je photographie. Nous travaillons ensemble lors de la prise de vue. C’est un moment intime. Mon appareil est monté sur pied et l’éclairage est souvent la lumière ambiante. Je fais plusieurs prises de vue, voire plusieurs films de la même personne. A l’inverse, dans la gare Saint Lazare, je vole les images comme Weegee ou un Paparazzi avec un énorme flash. Il n’y a aucune concertation et la personne photographiée rate son train si elle proteste. J’ai même demandé aux agents du RATP d’allumer l’alarme une minute avant les départs pour avoir 45 sécondes de stress et d’angoisse supplémentaires. Pour compléter le tout, j’interviens par la suite numériquement sur l’image, une pratique que j’avais toujours refusée jusque là, pour appliquer le bandeau blanc sur les yeux.