The Fall, 2017
[…] Lorsque j’ai contacté Pia Elizondo pour en savoir plus sur The Fall, elle m’a répondu depuis Mexico : « Je suis très loin de la Syrie et j’essaie de comprendre cette guerre cruellement absurde. … Je regarde à distance, complètement impuissante, à travers les filtres irréels et engourdissant de la vidéo, de la télévision, des caméras avec une distance imposée qui ne dit jamais ce qui se passe vraiment. »
La guerre, m’a-t-elle expliqué lorsque nous nous sommes finalement rencontrées à Paris, a toujours été une « obsession », même si, paradoxalement, elle ne l’a connue qu’à travers le cinéma, la télévision et les souvenirs de famille. En janvier dernier, après des semaines de réflexion sur la bataille d’Alep et le « spectacle » médiatique dont elle a été témoin, le projet devenu The Fall a démarré avec une session d’une journée de sauvegardes d’écran sur YouTube réalisées avec son iPhone et l’application photographique Hipstamatic. Une petite sélection d’images de ce vaste corpus – toutes sauvegardées dans le format carré noir et blanc « rétro » d’Hipstamatic – a ensuite été méticuleusement recadrée, retravaillée, mise en page individuellement ou en groupe, et séquencée en soixante pages, soit cinq mois de travail en tout. Et une maquette si subtile dans ses effets visuels qu’Escourbiac, l’imprimeur qu’elle a contacté avec l’idée de réaliser une petite édition numérique sur papier journal, l’a convaincue de passer à l’offset et à un papier crème non couché qui impose encore une autre sorte de distance avec l’expérience fugace des médias imprimés et électroniques.
Le résultat est un récit visuel ouvert qui nous entraîne dans un équilibre précaire entre ce que John Berger a si justement appelé « ce que nous voyons et ce que nous savons ». Tout comme les motifs en forme de grille des sauvegardes d’écran excluent le voyeurisme des médias, les traces de violence derrière ces mêmes écrans excluent toute appropriation esthétique. Elizondo nous montre ce que nous voyons (et nous dit ce qu’il y a vraiment, ce que nous ne voyons pas), non pas « là-bas », sous les bombes, mais « ici », au sein de la communauté internationale qui a laissé tomber Alep.
– Miriam Rosen