Suite, 2020
Suite poursuit le travail de Richard Dumas et sa réflexion autour du portrait photographique.
Fin des années 70, début des années 80, de nombreux jeunes gens, nourris autant de bonne éducation que d’une instruction solide suivent les cours à l’université, à Paris comme ailleurs.
Richard Dumas est une province avec Rennes comme capitale où ces étudiants, voyant se profiler avec un certain ennui la finalité de tout cela, trouvent dans les textes de littérature, le cinéma et la musique un territoire d’autant plus excitant qu’ils peuvent le définir eux-mêmes et y expérimenter quelque chose de neuf, qui leur appartienne en propre, ne pas y faire ce qu’on leur a demandé de faire mais faire ce qu’ils ont envie de faire. On se nourrit des poètes du passé, d’un cinéma qui expérimente, et d’une musique dont le rock & roll est le fer de lance, l’épingle à nourrice qui s’accroche aux oripeaux d’un monde qui continuera à nier et jusqu’à ce jour ce qu’il aurait pu avoir de bon.
Il trouve à Rennes des comparses comme lui, érudits et esthètes, conscients de leur temps et de ce qu’on attend d’eux, pour faire ce que leur temps commande et passer au-delà des attentes. Richard Dumas enregistre sur le 4 pistes de Marquis de Sade, la première maquette de Mythomane de Etienne Daho, Etienne au chant, Richard à la guitare. Il est dans ce courant musical nommé la scène rock rennaise, à part et novatrice dans le rock français qui s’illustre par des groupes comme Marquis de Sade, Marc Seberg, Les Nus, Ubik etc… Les Transmusicales de Rennes naîtront à ce moment-là, dans ce sillage.
Dumas délaisse alors la musique, sport trop collectif pour le solitaire qu’il est et commence à photographier, notamment les nombreux musiciens qui affluent vers la capitale Rennaise. Il est étonnant de constater, quelques décennies plus tard, comment le style est toujours là, reconnaissable entre tous, où le visage est finement dessiné par la lumière qui affleure, ne luttant aucunement avec les noirs profonds mais semble en émerger doucement, comme une réponse à une certaine vanité face au temps qui passe. Dumas reste simple dans son appréhension du métier : lumière, temps, matière.
Ces notions se prolongent dans le travail effectué dans la chambre noire où il réalise les tirages directement à partir du négatif. Petits formats carrés dont il a finement déchiré les bords du papier ou grand format sur Agfa avec son tireur complice, Antoine Agoudjan. L’attention qu’il porte au tirage est aussi exigeante que celle apportée au moment de la prise de vue.
A la question d’un journaliste qui lui demandait comment s’était passée la séance de pose avec telle célébrité, Richard Dumas répondit, placide : « Il n’y avait pas qu’elle, il y avait nous deux ». Ce laconisme répond à une évidence et qui apparaît clairement dans son oeuvre. Lui seul saura attendre l’instant afin de créer cette impression de découvrir chez le modèle ce sentiment qu’il est à ce moment-là, quelque peu étranger à lui-même, captant sur le visage un sentiment d’étrangeté, propre à l’existence.
Charlotte Gainsbourg dont le cou gracile, prêt à se briser contredit un profil volontaire et têtu, Keith Richard qui se noie dans un épais halo de fumée dont l’oeil s’extrait petit à petit pour nous faire voir un double qui serait la camarde, vieille complice de toujours dont il semble s’amuser en continuant à tirer sur sa cigarette, ou bien Patti Smith dont la détermination légendaire semble être rattrapée, contrebalancée par une douce réminiscence.
Le portrait d’un visage porte en lui un mystère quand celui-ci révèle une forme de beauté. Et c’est dans cette beauté recherchée et révélée que se dégage une certaine idée de l’existentiel.
Dumas prend le visage pour ce qu’il est. Il nous ramène à l’étymologie du mot qui trouve son origine dans visus qui définit l’action, la faculté de voir mais aussi par extension l’aspect que présente une chose et spécialement une personnalité. Au-delà des représentations de personnalités, s’étalent devant nous un spectre beaucoup plus large et qui a plus à voir avec ce qui nous définit, tous, au cours d’une vie.
« En photographie, je cultive le hasard et le fortuit. C’est pour cela que je fuis les studios, alors qu’en extérieur, chaque situation me pose une nouvelle question, à laquelle il faut que j’apporte une réponse nouvelle. Parce que je préfère l’inquiétude de l’inconnu à l’esprit de système et à la facilité. Au risque d’être déstabilisé. »
Richard Dumas