Portraits et témoignages de réfugiés ukrainiens, 2022
Piotr Wojcik
De gauche à droite : Olga Verbynska avec sa fille Victoria, Albina Gidzinska avec son fils Matvije, Natalia Komarynec avec Katerina. Ils sont originaires de Volodymyr-Volynskyi à l’ouest de l’Ukraine.
Chez Czesław Urlich, village de Królewiec situé à 10 km de la ville polonaise de Kielce.
Albina Gidzinska
« Je travaillais dans une entreprise de couture, je cousais des housses pour les meubles. Mon fils Matvije était à l’école, et, le 24 février, nous étions prêts à aller à l’école lorsque nous avons entendu à la télévision que l’invasion russe avait commencé. Mon mari et ma fille Iryna, âgée de 25 ans, sont restés en Ukraine. Ma fille est bénévole, elle aide les réfugiés à la frontière et aide aussi nos soldats. »
« Au début, nous ne voulions pas y croire. Nous regardions la télévision et nous voyions Kiev, Kharkiv, Odessa, Marioupol. C’était calme chez nous à l’époque. Aux premières sirènes chez nous, ma sœur m’a appelé : « Prends Matvije et cours ! » Mais j’étais tellement surprise que je ne savais pas où courir. Le troisième jour, vers 7h30 du matin, trois roquettes frappent et ma fille m’appelle : « Maman, prends Matvije et fuis. » Elle-même courrait du neuvième étage jusqu’au refuge. J’ai pris mon sac, appelé ma sœur et couru chez elle. C’était si terrible que je ne sais pas comment le décrire. »
« Au moment du départ, ma fille m’a dit au revoir. Elle tenait la main de son frère. Je l’ai suppliée : « Iryna, viens avec nous ». Elle a pris mes mains et fait un signe de croix. « Maman, quelqu’un doit rester ici pour aider. Je prépare à manger pour les hommes de notre division. Mère, ils défendent notre ville ! Ne t’inquiète pas pour moi. »
Natalia Komarynec
« Le 24 février, au petit matin, nous avons su que la guerre avait commencé. Malgré cela, nous sommes restés dans la ville. Mais le 2 mars, cependant, nous avons commencé à réfléchir, rester ou partir. Sasha mon mari et Dima notre fils sont militaires, ils défendent notre ville. Mon fils a dit : « Maman, pars parce que tu dois sauver Katerina ! » et mon mari : « Natacha, je t’en supplie, vas-y, sauve notre fille, notre enfant ! ». Il nous fait monter dans un bus avec sa sœur et une amie. Les enfants demandent pourquoi nous partons et papa, lui, reste. Ma fille et moi resterons ici jusqu’à ce que mon mari m’appelle et dise que nous pouvons rentrer car la paix est revenue. »
« Nous parlons rarement parce qu’il n’y a pratiquement plus de communication. Beaucoup sont restés sur place, surtout les personnes âgées qui n’ont pas pu partir avec nous. Nos mères, nos grands-mères, nos parents sont là-bas, nous pensons à eux et nous nous inquiétons pour eux. »
« Mon fils et mon mari sont militaires, chaque matin on se lève et on ne sait pas ce que la journée va nous apprendre et l’on a peur d’entendre la cloche de la peur. » Hier, quand nous nous sommes couchés, les enfants ont pleuré : « Maman, quand est-ce qu’on rentre à la maison, nous voulons voir papa ».
Olga Verbynska
« Lorsque les sirènes n’arrêtaient pas de hurler, nous dormions à la cave et les hommes étaient de garde pour défendre la ville. Après quelques jours, mon mari a décidé de nous envoyer en Pologne avec notre fille qui a 7 ans. »
« Il y a des problèmes de communication en Ukraine. Ici en Pologne nous avons des cartes téléphoniques mais elles sont vite épuisées. Alors nous appelons un court moment, juste pour entendre les êtres chers, s’ils sont vivants, si tout va bien ».
« Les gens qui fuient n’ont pas d’argent, les cartes de crédit sont bloquées. Nos maris nous ont donné tout l’argent liquide qu’ils avaient. Nous avions peut-être 300 zlotys (60 euros) chacune, nous avons échangé les dollars que nous avions à la maison. En Ukraine, nous ne sommes pas pauvres, nous travaillons. Mais en temps de guerre, les gens n’ont pas le temps de s’organiser, ils fuient… ».
Olga Fichtchouk et son fils Orest.
Chez la famille de Zuzanna Sustakiewicz, Varsovie, Pologne.
Olga Fictchouk
« J’ai trente-sept ans. Je suis maman. J’ai un fils de huit ans. Maintenant, je suis enceinte de six mois. J’habite Kiev. Je suis musicienne, pianiste. Grâce à ma formation, j’anime des ateliers de théâtre pour enfants. Récemment, nous avons monté une excellente comédie musicale « School of rock » au théâtre national de la place Kontraktowy, au centre de Kiev. C’était mon rêve.
Je suis partie de Kiev le 24 février, le jour-même où la guerre a commencé. Je suis arrivée à Varsovie le 28 février. Avant le 24 février, les informations étaient inquiétantes et il devenait de plus en plus clair que quelque chose allait arriver. Mais personne n’aurait cru qu’au XXIème siècle, il pouvait y avoir une guerre.
La nuit du 23 au 24 février, nous dormions, lorsque le bébé dans mon ventre s’est mis à me donner des coups de pied et je me suis réveillée très tôt, vers cinq heures. Puis j’ai entendu la première explosion. Mon corps s’est figé et j’ai réveillé ma famille. Il n’y avait pas le temps pour réfléchir, pour prendre conscience de ce qui se passait. Partir, s’enfuir, sauver notre vie. Sauver mes enfants. C’est mon mari qui a ramassé un minimum de choses de valeur que nous avions à la maison, un peu d’argent. Il a mis nos affaires dans un sac à dos. A vrai dire, je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait prendre. J’ai ouvert le frigo, pris à manger pour la route. J’ignorais combien de temps nous allions voyager ni dans quelle direction.
En route, nous avons décidé d’aller en Pologne. Nous sommes arrivés à la frontière le 24 à 19h. Jusqu’au lendemain à 7h du matin, nous avons fait la queue. Entre-temps, nous avons appris que le président avait décrété que les hommes n’auraient pas l’autorisation de partir.
Maintenant, mon mari est en Ukraine occidentale, il aide les bénévoles autant qu’il peut. Je ne sais pas exactement ce qu’il fait, il est très occupé. Bien sûr, nous sommes souvent en contact.
En traversant la frontière, les gens nous ont donné à manger. Je n’ai pas eu le temps de me rendre compte de quoi que ce soit. On me tendait des sandwichs, du thé. C’était choquant et en même temps très agréable. Nous étions surpris. Des passants ordinaires voulaient nous aider. C’était très émouvant, les larmes nous montaient aux yeux. D’abord, j’ai pleuré car j’avais peur, puis, j’ai pleuré car il était douloureux de quitter ma famille, et ensuite, j’ai pleuré d’émotion, en voyant la solidarité.
Mon fils s’appelle Orest, ce n’est qu’un enfant, huit ans c’est peu. Mais il comprend parfaitement ce qu’il se passe, il est conscient de la complexité de cette situation. Il connaît le mot « guerre ». Il comprend tout. »
Svetlana Kistyniuk et ses fils Jan et Georgij.
Chez Joanna Fidler et Sławomir Sierzputowski, dans leur ferme agrotouristique, village de Badowo Kłody à 50 km de Varsovie.
Svetlana Kistyniuk
« Je vis dans deux villes – Odessa et Novovolynsk. Mes parents vivent à Odessa et mes beaux-parents à Novovolynsk, à l’Ouest proche de la frontière polonaise. Je suis entraîneuse sportif personnel (coach). J’ai deux fils et ce sont mes plus grands succès. Mon fils aîné Jan est le champion d’Ukraine de karaté kyokushinkai et mon fils cadet Georgij est le plus jeune champion de karaté. Mon mari, Sergey Kistyniuk, est un champion vétéran de karaté d’Ukraine. Nous ne vivons plus ensemble. Il est maintenant chauffeur de poids lourds. »
« Nous sommes partis le jour où les sirènes n’ont pas arrêté d’hurler. Les enfants étaient effrayés. Nous sommes donc venus en Pologne. J’ai eu beaucoup, beaucoup de chance, parce que de parfaits inconnus m’ont pris dans leur voiture et m’ont amené ici. »
« Je suis partie d’Odessa il y a 6 jours. Nous allons nous déplacer là où nous pourrons trouver une section sportive pour les enfants. »
« Mon mari a participé à l’ATO, c’est-à-dire à l’opération antiterroriste (nom ukrainien des actions dans le Donbass). Puis, pour mener à bien sa réhabilitation ultérieure, sa thérapie, j’ai suivi un cours spécial à l’institution IQholding où j’ai travaillé avec des militaires ukrainiens combattant dans le Donbass après 2014 et 2015. Les cours portaient sur la « Recherche d’emploi et réinsertion en temps de paix de nos militaires ukrainiens ». À Varsovie, je laisserai ma candidature à l’Association polonaise de psychothérapie pour travailler avec des Ukrainiens. »
« Je suis venue en Pologne uniquement parce que mon ex-mari est ici à cause de son travail. De chez nous, d’Odessa, tous vont plus loin en traversant la Moldavie. »
Anna Barchat et Anjunija Badr
Chez Joanna Fidler et Sławomir Sierzputowski, dans leur ferme agrotouristique, village de Badowo Kłody à 50 km de Varsovie
Anjunija Badr
« Je suis venu en Ukraine pour étudier. J’ai passé 5 ans en Ukraine, c’était ma cinquième et dernière année d’études. J’ai étudié le management à l’École Polytechnique de Kharkiv. Nous avons décidé de fuir l’Ukraine le cinquième jour de la guerre. Nous avons enduré le premier, le deuxième et le troisième jour. Nous pensions rester tranquillement à la cave parce que c’était plus sûr là-bas. Mais ensuite, ça a été de pire en pire. Des explosions, des bombardements. »
« Mes parents ont peur. Ils sont au Maroc, ils regardent les nouvelles tous les jours. Ils ont tout vu à la télé. »
« Vous ne pouviez sortir nulle part. La nourriture était rare, l’eau était rare. On ne pouvait rien acheter. Les magasins étaient fermés. Dès l’ouverture des magasins, les files d’attente étaient longues. Et on devait attendre 2 à 3 heures dans la rue. Ils bombardaient, cela pouvait nous tomber dessus. »
« La route de notre maison à la gare a pris 15 minutes. On a vu des tanks dans la rue. Au-dessus de nos têtes, il y a eu une explosion de l’autre côté de la rue. Nous avons eu de la chance. Quand le taxi approchait de la gare, il y a eu une explosion derrière nous. La voiture s’est arrêtée au milieu de la route et nous nous sommes enfuis pour nous cacher.»
« Nous avons un avion pour le Maroc aujourd’hui. Nous y allons. Je vais travailler chez mon père. Nous allons vivre au Maroc. »
Anna Barchat
« À Kharkiv, j’ai travaillé dans un club de billard pendant 8 ans, jusqu’au moment où tout a commencé. C’était très dur, nous n’avons rien pris avec nous, nous n’avons rien. Nous sommes montés dans le train et le voyage a été difficile. Il y avait 200 personnes dans le wagon. Dieu merci, nous sommes arrivés à Lviv, puis à la frontière. À la frontière, c’était plus facile, car du côté polonais, on nous a donné des sandwichs, du thé et des vêtements.
« Ils ont bombardé toute la journée. La nuit, on ne pouvait pas dormir car on avait l’impression que les explosions étaient à côté de notre maison. On se cachait dans la cave, mais tout le temps, un bam, bam explosait près de notre tête. On va se réveiller aujourd’hui ou pas. Et chaque jour plus, et plus, plus fort et plus fort. »
« Après le troisième jour, ils ont commencé à bombarder les rues, les maisons et les gens. Bientôt il n’y aura plus de ville. Je n’ai jamais imaginé que je pourrais être dans une telle guerre. Nous vivions en paix, personne ne s’attendait à une telle chose. Même quand cette guerre sera terminée, je ne veux pas y retourner. J’ai peur, ça va rester en moi. »
« Mon père et ma grand-mère sont restés là-bas. Je les appelle plusieurs fois par jour. Ils n’ont pas réussi à partir. »
Au premier plan, de gauche à droite: Fiłatova Mariana, Samochvalova Svitłana, Walentyna Judenko
Au second plan, de gauche à droite : Fiłatova Olha, Fiłatova Oleksandra
Chez Katarzyna Sikorska-Siudek et Mieczysław Siudek, Wiązowna Kościelna près de Varsovie
Filatova Olha
« Je suis avocate, je m’occupe des affaires civiles et familiales, je vis et travaille à Kiev ».
« Nous étions à la maison quand nous avons entendu une forte explosion derrière la fenêtre, puis plusieurs autres. Nous avons eu peur, nous avons rassemblé nos affaires, nous sommes sorties en courant et nous avons fui vers un abri à la cave d’une école primaire voisine. Il y avait 600 autres personnes dans l’abri. Nous sommes tous restés debout en attendant que les explosions s’arrêtent. Après environ 2 heures, les explosions ont cessé et nous sommes rentrées chez nous. Chaque jour, cette situation s’est répétée, d’abord seulement la nuit, puis dans la journée. La deuxième et troisième nuit, lorsque les bombardements ont recommencé, nous avons pris quelques affaires, les enfants, des matelas, et nous avons dormi dans l’abri. Nous avons dormi sans ôter nos pardessus, il faisait très froid. Et une roquette est tombée sur notre immeuble et ceux d’à côté. En nous couchant, nous ne savions pas si nous serions encore en vie à la fin de la nuit. Finalement, nous avons décidé de prendre nos affaires et de quitter l’Ukraine ».
« Certains de nos amis sont partis près de Kiev dans des résidences secondaires, des maisons de campagne, d’autres sont allés en Pologne et certains sont restés dans leurs appartements, mais la plupart sont allés plus loin autour de Jytomyr ou de Kiev. Mais les bombardements ont commencé rapidement, alors ils sont partis encore plus loin. »
« Le départ de Kiev a été terrible, un nombre considérable de personnes attendaient à la gare et s’efforçaient d’entrer dans les trains. Nous avons voyagé pendant 12 heures dans un train, debouts parce qu’il n’y avait pas de sièges ni d’endroits où s’asseoir. Il y avait avec nous des enfants en bas âge, des animaux. Nous sommes arrivées à Lviv et nous avons fait la queue pour être transportées vers la Pologne. Quand nous sommes arrivées, on nous a mis dans un bus, puis dans un train et nous sommes allées à Varsovie. À la gare, nous avons été abordées par des volontaires qui nous ont dirigées vers l’endroit où nous nous trouvons actuellement, afin que nous puissions passer la nuit, nous laver et manger. Nous avons l’intention de chercher un appartement pour y vivre. »
« Nous espérons qu’il y aura bientôt la paix en Ukraine, que tout se terminera bien et que nous y retournerons. Nous voulons vraiment rentrer à la maison, à Kiev. Nous suivons toutes les informations, nous espérons que notre Président trouvera un compromis,. Il s’en occupe, pour que la guerre se termine le plus vite possible, pour que les gens cessent de mourir. Tant que la guerre se poursuivra et tant que je ne serais pas convaincue que mes enfants sont en sécurité, nous ne retournerons pas en Ukraine. »
Samochvalova Svitlana
« Je travaille comme archiviste au centre de l’emploi de la ville de Kiev. »
« Il y avait d’énormes files d’attente dans les magasins, et dès le deuxième jour, on ne pouvait acheter que deux pains chacun, pas plus. Puis, il n’y a plus eu de farine ni de lait. Il y avait aussi une pénurie d’eau. »
« Qui sait où aller, part. Qui n’a pas où aller, reste, les gens n’ont pas d’argent pour partir. Le voyage en lui-même est très difficile, plus encore quand on emmène toute sa famille. Les grands-mères, les personnes âgées ont du mal à marcher, elles vivent très mal le voyage. Nous avons pris notre grand-mère avec nous. Nous n’avions pas d’autre choix. Si nous l’avions laissée en Ukraine, elle ne se serait pas débrouillée, elle serait morte sous les bombes. On doit veiller sur elle comme sur un petit enfant. Alors, on l’a emmenée avec nous, on a même pris notre chien. »
Filatova Oleksandra
« Je fais mes études à l’école secondaire à Kiev ».
« La première fois, après la première explosion, nous sommes restées dans l’abri pendant plusieurs heures. Le même jour, il y a eu 3 autres fortes explosions. Nous sommes donc restées à l’abri pour dormir, mais c’était impossible de dormir, c’était une horreur. Dans l’abri il n’y a rien, il n’y a pas de chaises ni rien d’autre. Tout le monde était debout, des enfants, des personnes âgées, avec des chiens. Et il a fait très froid. »
« Lorsque nous étions encore à Kiev, à 17 heures, nous tirions les rideaux et éteignions les lumières car ils bombardaient généralement la ville la nuit et là où les lumières étaient allumées. La ville était déserte, personne dans les rues. Les deux premiers jours, les gens ont tout acheté dans les magasins. Comme nous a écrit une amie qui est restée à Kiev, tous les supermarchés sont fermés, dans notre quartier, un seul magasin est resté ouvert mais il n’y a plus rien à manger.
Un couvre-feu a été imposé, on devait rester chez soi sans sortir. C’était dangereux. Donc, nous sommes parties… »
Filatova Mariana
« Je suis à de l’école primaire, mes amis et camarades de classe, presque tous ont quitté l’Ukraine ou Kiev, peu sont restés à la maison. Ils se cachent dans des abris ou dans des caves. »
Valentina Yudenko
« Je me souviens de la Seconde Guerre mondiale, j’étais une enfant à l’époque, j’avais quelques années. Ils tiraient, on s’enfuyait, on se cachait dans des abris, j’avais faim. Je me souviens de la rivière, rouge de sang. Quand les bombes sont tombées, elles ont tué certains, d’autres se sont enfuis. Dieu merci, je suis déjà vieille, je suis née en 1937, alors quel âge ai-je ? 86 … »