Patagonie, The Damned and the Beautiful, 2012
Aysén, au Chili, qui regroupe quelque 92 000 âmes, se trouve dans l’une des régions les plus éloignées et les plus intactes du monde. Son écosystème est l’un des plus remarquables qui existent encore. La région abrite certaines des plantes et des forêts tropicales les plus rares, de nombreuses espèces animales menacées, des rivières vierges d’une grande biodiversité aquatique et les plus grands champs de glace, en dehors du Groenland et de l’Antarctique.
De 2007 à 2014, HydroAysén a tenté, avec l’aide du gouvernement chilien, de construire cinq barrages et des centrales hydroélectriques sur les rivières Baker et Pascua, afin de soutenir la croissance économique du Chili, son industrie minière dans le nord et l’augmentation de la consommation d’énergie.
La pression constante des citoyens et la reconnaissance des dommages irréparables causés à la région ont amené le gouvernement à finalement rejeter le projet en 2014.
Les barrages auraient créé des lacs artificiels, altérant l’écosystème de manière irréversible, inondant des terres d’élevage, des maisons ancestrales, endommageant un mode de vie traditionnel et des terres inexplorées, inconnues même de la plupart des Chiliens.
La Patagonie n’aurait pas été la seule région irrémédiablement défigurée. L’énergie aurait été acheminée à Santiago par une ligne de transmission de 1 912 km, exigeant une coupe à blanc de quelque 1 600 km de long et 122 mètres de large, soit à peu près la distance entre Boston et Savannah.
J’ai fait un voyage prolongé dans la région, photographiant les paysages menacés de la Patagonie, son mode de vie et les personnes directement touchées par ce projet. Cela fait maintenant 10 ans que je photographie au Chili, principalement dans le nord de la Patagonie, à Chiloé. Quand j’étais enfant, en Belgique, j’ai rencontré une petite chilienne, Pilar, qui avait fui le régime du dictateur Augusto Pinochet. Pilar était trop petite pour parler de choses comme « exil », « dictature » ou « desaparecidos », mais sa seule présence a changé ma façon de percevoir le monde. J’ai imaginé de nouvelles histoires, de nouvelles terres et la vie d’autres personnes, des images qui m’ont accompagnée pendant longtemps. Des années plus tard, ces histoires m’ont poussée à aller photographier dans des endroits comme la Palestine, la Colombie et le Chili, bien sûr.
Au cours de mon voyage, j’ai visité des communautés le long de la ligne électrique. La vie est difficile dans cette région. Le coût de la vie y est plus élevé que dans le reste du Chili, en raison de son isolement. La principale route qui dessert la région, la « Carretera Austral », est principalement une route de gravier. Les déplacements dépendent des conditions météorologiques et volcaniques, des changements d’horaires des bateaux, de la difficulté à communiquer. Beaucoup de gens n’ont pas l’électricité. Ils ne peuvent communiquer que par radio. Les hommes vivent seuls, leur femme et leurs enfants vivent dans de petites villes, pour permettre aux enfants d’aller à l’école. Ils sont réunis pendant les vacances scolaires. C’est à ce moment que je leur rends visite, lorsque les familles sont réunies dans leur ferme.
La Patagonie est un lieu mythique qui fait appel à l’imagination de chacun. Voyager dans la région est difficile et il est donc encore plus important de capturer et de sensibiliser les gens à sa nature et à la menace qui pèse sur elle.
Une nuit, je me trouvais sur une petite île au sud du Chili et le grand-père de mon ami m’a dit : « Quand tu regardes toutes ces étoiles, comment quelqu’un pourrait-il prétendre qu’il n’y a pas de Dieu ? Depuis aussi longtemps que nous pouvons le raconter, les peuples traditionnels et indigènes célèbrent notre relation avec la nature dans leurs chansons et leurs histoires. De nos jours, notre société s’est progressivement déconnectée du monde naturel et a donc perdu tout sens des responsabilités à son égard. Dans le processus de ce que l’on appelle le développement du monde, des lieux situés aux confins du monde sont détruits et quelque chose est perdu à jamais. Au-delà des conséquences environnementales désastreuses, c’est autre chose qui est sacrifié : notre lien avec nos racines, notre histoire et notre diversité. C’est une tradition et une motivation de longue date pour les photographes d’enregistrer ce qui est menacé par la démolition ou le passage du temps. Ay-sén est un lieu rare et précieux, avec une culture unique, un mélange de racines tehuelches et d’esprit pionnier. Lilli dit : « Il n’y a pas de terre comme la nôtre ».