Passenger, 2021
Loin d’une chronique indienne, bien que les photos aient été prises à Calcutta, le corpus « Passenger » prolonge le parcours initiatique cher à l’écriture photographique de Martin Bogren. Pour la première fois, le photographe adjoint la couleur à sa sensibilité graphique noir et blanc. Par la proposition d’un non-lieu, chaque photographie absorbe tout espace-temps, dès lors, c’est tout un imaginaire qui conquiert ses droits.
L’errance invite ici à un dépaysement, épreuve de la distance et de la confrontation à une culture lointaine. Entre vues d’échafaudages délabrés avec bâches flottantes, uniformes d’opérettes, ou encore homme allongé aux allures angéliques, chaque image s’ensuit d’un trouble. Au sein de ce véritable songe d’une épopée contemporaine, la magie de l’onirisme insufflé laisse place à une distanciation vis-à-vis du réel.
Les clairs-obscurs se veulent l’expression d’un théâtre de l’absurde, refus d’une quête de sens, là où l’abandon apparait comme la seule clé de compréhension. Mettre de côté toute grille de lecture, pour laisser libre champ à l’intuition, telle est la liberté à laquelle nous soumet le photographe. Cette approche tend alors vers l’expérience de la synesthésie – une association sensorielle singulière, où le stimuli visuel intervertit les sens. Lorsque la douceur d’une image répond à l’âpreté d’une autre, se glisse souvent une texture palpable qui investit le regard.
En partant de récits documentaires à la résonance intime, les photographies sous-tendent le souci de la beauté, ou toute autre forme de révélation. « Une photographie est un secret à propos d’un secret. Plus elle vous en dit, moins vous en savez. » Les mots de Diane Arbus résonnent puissamment, tout autant que « Passenger » confirme un langage de l’abstraction qui laisse une trace mystérieuse, insaisissable, mais que chacun peut éprouver entre soi et soi-même. S’épanouirait ici-même l’expérience de la liberté.
«Lorsque, le temps d’un instant, nous faisons taire nos esprits et cessons de chercher à comprendre, survient une connaissance, sans pensée, sans jugement, accusation ni peur. Alors, nous voyons la beauté pour elle-même, sans besoin d’analyse ni de maitrise. Et nous savons qui nous sommes vraiment. En attendant, nous ne faisons que passer. »