Palestine, 2005-2008
L’appel du muezzin à quatre heures du matin. Quelques moutons paissant dans les maigres champs à la périphérie de la ville. L’odeur du café à la cardamome. Dans le hall de l’hôtel, une chaîne égyptienne diffuse des vidéos de femmes portant des tenues suggestives. Les hommes fument cigarette après cigarette. Ils tournent en rond, traînent, bavardent, s’ennuient. Les maisons sont toutes construites dans le même style, en béton ou en pierres blanches locales, et donnent un aspect monochrome à la ville. Les tours avec des bâtons d’acier laissées apparents, un étage supplémentaire sera construit quand la famille pourra se le permettre. Dans la vieille ville, de nombreux bâtiments ont été détruits. Dans les camps, petites villes dans la ville, la promiscuité est telle que dans certaines maisons, on peut entendre le voisin parler. Chaque famille a son histoire : un parent blessé, un autre tué, une maison détruite par un bulldozer, un fils en prison. Les factures des services publics sont impayées depuis cinq ans. Malgré cela, il y a la volonté d’essayer de vivre normalement. Dans les maisons, il y a de grands rideaux fleuris, cinq ou six canapés, des néons dans toutes les pièces, des chaises en plastique. Parfois, une pièce est laissée vide, au cas où un ami, un parent serait dans le besoin. Dans la cuisine, le réfrigérateur est souvent vide. Partout, on nous offre du thé, du café. Pour entrer ou sortir de la ville, il y a des postes de contrôle, des barrages routiers. Parfois, les gens doivent attendre pendant des heures sous un soleil brûlant. On les empêche d’aller au travail, dans les champs, à l’hôpital, à l’école. Ils doivent parfois marcher pendant des heures, dans les montagnes, en se cachant.
Le conflit du Moyen-Orient est probablement l’un des conflits les plus étudiés de l’histoire. Chaque jour, nous entendons parler des Territoires occupés, mais tout ce que nous pouvons tirer des nouvelles est un sentiment de confusion et de violence. Derrière les images sensationnelles que nous voyons à la télévision, se cachent des visages humains, des familles, des vies quotidiennes. Nous ne pouvons nous connecter aux gens que lorsque nous entendons leurs histoires. Sinon, lire des articles sur les attentats suicides et les problèmes politiques ne signifie pas grand chose pour beaucoup de gens.
La population palestinienne, prise en otage entre la politique de sécurité israélienne et les stratégies de l’autorité palestinienne, se trouve dans une situation précaire : victime du chômage, soumise à un contrôle strict des déplacements, rendant les échanges commerciaux avec l’extérieur et l’accès aux services de santé publique très difficiles, victime d’actions militaires préventives et punitives contre l’habitat et les ressources civiles, les Palestiniens n’ont aucun moyen d’exiger le respect de leurs droits humains fondamentaux. Le pourcentage de personnes vivant dans les Territoires sous le seuil de pauvreté a augmenté de manière drastique depuis le début de la 2è Intifada. L’environnement politique est propice au développement de stratégies violentes provoquant un sentiment d’insécurité permanente et un sentiment de fatalisme croissant. Les gens se sentent oubliés.
D’après ce que nous lisons, voyons, on a parfois l’impression que la population palestinienne est une abstraction. Ce sont 4 millions de vies, qui ont toutes leur histoire. Comment est-il possible de continuer à vivre dans un endroit qui est occupé depuis plus de quarante ans ? Comment peut-on faire face au manque d’espoir ? Mustafa me dit : « Je ne peux pas voyager, alors je lis. J’aime surtout Madame Bovary. Si je pouvais, j’irais à Paris, mais d’abord j’irais à Jérusalem ». Cet ensemble veut refléter les difficultés rencontrées par les Palestiniens, leur volonté indomptable de survivre à des situations difficiles et la quête continuelle de construire et de vivre dans une vie de dignité et de grâce.