L’Heure sacrée, 2010
« La lune et le soleil sont tes yeux.
Tel je te vois, le visage resplendissant de feu,
Ton éclat illumine le monde »(Bhagavad Gîtâ)
À l’automne 2010, je suis parti en Inde photographier les pèlerins d’une des plus anciennes religions du monde : l’Hindouisme. À l’aube et au crépuscule, à l’heure où la lumière se confond avec les éléments, je suis allé à la rencontre de ces fidèles, focalisant mon travail sur leur gestuelle. Des ghâts millénaires de Varanasi et d’Haridwar aux innombrables sanctuaires de l’Inde méridionale, j’ai plongé au cœur de cette religion complexe et fascinante, cherchant à capter la ferveur mystique qui émanait de ces êtres et le souffle divin qui exhalait de leurs temples.
Durant la Fête des lumières, appelée Divali, les pèlerins affluaient en grand nombre sur les marches qui bordent le Gange pour s’immerger dans ses eaux sacrées, composant avec naturel de véritables tableaux vivants. Leurs offrandes faites de colliers de fleurs, de fruits et de petites lampes à huile, glissaient sur les eaux du fleuve en une multitude de petites barques scintillantes. Des groupes se formaient autour d’un sâdhu couvert de cendres en une étrange assemblée nocturne comme prête au sabbat.
Les volutes de fumée des crémations voisines se propageaient par nappes autour du trident de l’ascète qui trônait tel un dieu au centre d’une nuée de fidèles en complète adoration. Cernées de petites flammes parfumées, des femmes à demi voilées se réunissaient en cercle pour mélanger les herbes qui serviraient aux futures offrandes. Le visage rougeoyant et les mains couvertes de motifs stylisés, ces êtres accroupis semblaient hypnotisés par une aïeule volubile qui roulait des yeux et levait les mains au ciel.
À l’aube ou au crépuscule, les plus fervents s’en allaient prier au cœur des sanctuaires odorants, le corps et le visage éclairé par le seul reflet des flammes. Le regard fiévreux et le geste vif ces pèlerins ardents n’avaient de cesse de toucher les idoles de pierre et de bronze, tournant autour d’elles comme un essaim d’abeilles pour mieux les adorer.
Pendant que les brahmanes aspergeaient d’huile le puissant lingam de Shiva, les fidèles passionnés se prosternaient devant lui en récitant leurs mantras. Couverts de colliers de bois de rose et de médailles argentées, les torses d’hommes luisaient dans les ténèbres telles des cuirasses de guerrier. Les femmes, les bras chargés d’offrandes et le corps dissimulé sous leurs précieux saris, glissaient sur les dalles lustrées comme des fantômes. L’atmosphère de ces lieux saints était à la fois mystique et surnaturelle.
En Inde, la foi portée à un tel degré d’intensité bouleverse autant qu’elle fascine.
François Fontaine