L’Europe du Silence, 2000
« En décidant de photographier Berlin-Ouest en 1979, je voulais comprendre l’Allemagne, celle qui donna naissance au nazisme, ce phénomène, unique dans l’Histoire, généré par un peuple si parfaitement civilisé. Cette enceinte extraordinaire me captiva pendant 10 longues années. Dès 1961, le mur empêcha l’effacement des traces, et Berlin devint un vaste studio où le décor donnait la même réalité au présent qu’au passé. Berlin figea les deux visages de la civilisation allemande, l’un raffiné à l’extrême, l’autre monstrueux.
Le décor fut démonté un 9 novembre 1989, jour anniversaire de la nuit de Cristal.
Après ces dix années j’étais très curieux de découvrir le visage oriental de l’Allemagne, de traverser cette ruralité presque inchangée depuis 1933, de voir comment la culture progressiste de Weimar pouvait cohabiter avec Buchenwald.
En 1992, le voyage polonais révéla les grandes carences économiques de la région, mais surtout l’immense horreur des abattoirs humains du IIIè Reich.
Comme je décidai d’achever mon voyage à la frontière russo-polonaise, j’eus le sentiment qu’un retour sur mes pas me permettrait de percer la carapace aseptisée de la puissante Allemagne de l’Ouest, ainsi que les soixante-dix ans de pression totalitaire de l’autre, celle de l’Est.
La chronologie inversée se poursuivit ; ce ne fût qu’en 1997, à Verdun, dans le paysage encore meurtri par l’acharnement des batailles de 1914-1918 que je compris la cohérence de cette longue histoire. »
Stéphane Duroy