Les Bords Réels, 2020
Réalisé avec le soutien de la SCAM et du Centre National des Arts-Plastiques.
Il était un pays qui avait connu une guerre. On dit d’elle qu’elle était fratricide, de religion, ethnique. Tous les mots avaient été utilisés. Chacun croyant cerner les contours du conflit, prononçant des mots ultimes, s’emmêlant dans les noms de son peuple, de ses croyances, de sa langue. On disait alors pour simplifier : « Aux portes de l’Europe! ». On parlait de siège, de massacre et bientôt de génocide. Après quatre années d’horreur, on décida de couper le pays en deux. Pour purger les dernières ardeurs, on fit signer « les Accords » comme on saigne une entaille dans le corps du pays. Les balles ont fini de siffler, les caméras se sont éteintes et chacun est rentré chez soi.
La saignée était trop forte. Le pays a perdu connaissance.
Un coma étrange et tourmenté commence alors. Ce n’est plus la guerre, ce n’est pas la paix. C’est cet entre-temps qu’on appelle après-guerre.
Vingt ans se sont écoulés et l’« après » n’en finit plus de s’étendre. Maintenu dans une pénombre médiatique, dans l’isolement des portes closes de l’Europe, le pays se replonge en zombie dans ses propres rancoeurs. Il vivote, ravive les vieux démons, joue avec le feu. On le traverse comme on traverse une nuit étrange. Entre les chiens et les loups.
Ce n’est pas un cauchemar, sûrement pas un rêve. C’est un flottement malaisant, où brillent quelques lueurs.
Le pays a voulu réglé ses comptes avec l’espace – les frontières intérieures – l’enjeu maintenant est la cohabitation des temps. Les morts et les vivants, les vétérans du conflit, les bosniaques, les serbes, les croates et la jeunesse née dans ses décombres. Chacun semble errer dans sa propre époque et ses croyances. En somnambule.
Plus qu’un état des lieux, Les Bords réels se veut un état du temps. C’est une errance au long cours hantée par cette question : y’a t’il un après à l’après de la guerre?
Il se veut à l’image du pays qu’il traverse : fragmentaire, vibrant et chaotique.
Il emprunte son titre à un beau poème du pays des fantômes – le Japon – qui parle d’amour et d’une plaie sans corps.
Il parle de la Bosnie.