Laos, 2001
Ce travail photographique d’Yvon Lambert sur le Laos a été réalisé sur une période de deux mois (décembre 2000 à février 2001) avec le soutien du Ministère de la Coopération et de l’Action Humanitaire du Luxembourg.
En longeant le fleuve Mékong, artère vitale du Laos, le photographe rend compte du quotidien des Laotiens.
Un livre est toujours en projet sous le titre Au rythme du Mékong, le Laos, Alain D’Hooghe en a écrit la préface :
Une lenteur moite
Que nous montrent les images d’Yvon Lambert ? En quoi s’inscrivent-elles dans l’indispensable album de la connaissance ?
Il ne s’agit pas de photographies de presse, en tout cas pas au sens où on l’entend aujourd’hui puisqu’il faut désormais du hot news ou du people pour s’attirer les faveurs des journaux et magazines. Ici, pas d’événement majeur, pas d’actualité brûlante, ni guerre ni catastrophe. Pas plus d’ailleurs de stars ou de princesses.
Il ne s’agit pas non plus de cette photographie de plus en plus présente dans le champ de l’art contemporain. Pas de soi-disant « distance objective » (ou « objectivité distante », c’est selon), de détournement de l’iconographie dominante. Pas de recherche sur le matériau ni d’ode à la banalité.
Yvon Lambert pratique ce qu’il est convenu d’appeler la photographie documentaire ou plus précisément encore l’essai photographique. Pour lui – comme nombre de ses pairs qui œuvrent dans le même registre – la photographie constitue bien plus un langage, une écriture, une forme d’expression qu’un simple médium. Elle est aussi bien évidemment un prétexte à découvrir le monde, à en saisir quelques fragments pour témoigner a posteriori.
S’il court volontiers le monde pour en ramener des images, s’il opère plus volontiers à Naples, à Tokyo ou, ici, au Laos, on ne pourrait pour autant qualifier le travail d’Yvon Lambert de « photographie de voyage ». Ou alors, il faudrait admettre que le voyage est davantage un état d’esprit qu’une quête d’exotisme. Peu importent les destinations, les kilomètres parcourus, seule compte l’envie d’ailleurs, de déracinement. Le regard qu’il porte sur les choses l’emporte à l’évidence sur les choses elles-mêmes. Et la suggestion prévaut toujours sur l’affirmation ou la démonstration.
Ce que le photographe a ramené de son périple laotien se situe aux antipodes des pages glacées des dépliants touristiques. Même lorsque des réalités historiques, culturelles, sociales ou politiques n’apparaissent qu’en filigrane, qu’elles sont plus évoquées qu’énoncées, elles sont bien présentes et rendent compte de la situation d’un pays en pleine mutation, sortant de son isolement et s’ouvrant chaque jour un peu plus à la modernité tout en restant confronté à des déchirements internes et à la difficulté de préserver son identité.
Des statues de Bouddha, auréolées d’une lumière irradiante, côtoient un accident de la circulation. Au petit matin, des moines effectuent leur procession quotidienne, suscitant la générosité des fidèles alors qu’à deux pas, des adolescents amoureux se bécotent par-dessus un cyclomoteur dernier cri.
Même si le Laos avance à grands pas sur les routes parsemées d’embûches de la mondialisation, nonobstant un tourisme qui le place désormais sur la carte d’un improbable village global, on continue d’y battre le riz en le lançant dans les airs pour le faire retomber dans un panier tenu à bout de bras. On file toujours la soie dans les villages akha, comme on l’a toujours fait. Dans les villages hmong, on rejoint des paradis artificiels en fumant l’opium que l’on a cultivé, comme on le fait de génération en génération depuis des temps immémoriaux.
Les gestes et les traditions séculaires tentent de retarder l’inexorable marche du temps. Faisant fi d’une prétendue modernité et d’un soi-disant progrès, le quotidien paraît immuable, uniquement régi par les lois essentielles de l’univers.
Il y a une lenteur moite dans les photographies d’Yvon Lambert, comme s’il avait lui aussi succombé au rythme imposé par les eaux du Mékong, fleuve de légende, source de vie et de mystères.
Lorsqu’elle est pratiquée avec cette rigueur et cette générosité, la photographie documentaire demeure un moyen unique et indispensable d’appréhender le monde. On la dit d’un autre âge, anachronique, moribonde. On le dit depuis si longtemps qu’il n’y a plus lieu de s’inquiéter de la menace. Elle est bien vivante, et Yvon Lambert en apporte une des multiples preuves.
Alain D’Hooghe