La maison et la piscine
« Notre maison a été bombardée par les forces américaines. Le parc a disparu, remplacé par des alignements denses d’hévéas qui n’ont pas facilité ma recherche. Arthur l’éléphant, les oiseaux et les animaux sauvages ont cédé la place à des vautours. Les autres maisons de l’époque ont subi le même sort ; certaines sont squattées par des familles déplacées. Je ressens le besoin de fixer sur négatif toutes ces fissures, portant les stigmates de la guerre et des outrages du temps qui passe. Je n’éprouve aucune mélancolie lorsque je regarde ces maisons en ruines. Bien au contraire, j’apprécie que les squatteurs se réapproprient mes souvenirs ». F.H
Le Mékong
« Pour refaire le trajet, fait à l’âge de huit ans, sur le Mékong, je loue un sampan. Il est identique à ceux de l’époque, mais un moteur remplace avantageusement les rames d’antan. Ce Sampan appartient à madame Tri. C’est une femme du fleuve. Depuis la fin des « années Khmers rouges », elle transporte dans son sampan du matériel de construction, des bois précieux et du riz. Elle préfère naviguer de jour car la nuit, elle n’est pas à l’abri des pirates du fleuve. (…) À mesures que les jours passent, la lassitude m’envahit : je reste cloîtrée dans le sampan, les villages s’étiolent, les formes humaines disparaissent et la nature, désormais omniprésente, devient troublante ». F.H
Le village
« Pour rejoindre Chi Tchean, lieu présumé du camp principal où je fus prisonnière, je loue les services d’un pêcheur qui me prévient que la région n’est pas sûre. Je prends place à bord d’une petite barque instable, et m’enfonce dans la jungle (…) Une heure plus tard, nous accostons à Chi Tchean, village constitué de paillotes à moitié en ruine. (…) Je ne vois ni pagode ni école, les enfants ne connaissent pas leur nom de famille et ne savent ni lire ni écrire. Un homme âgé de soixante-dix ans, me confirme qu’à l’emplacement actuel de Chi Tchean existait auparavant un énorme camp, Issarak et Vietminh, puis Khmers rouges.
La région a subi les bombardements américains et reste aujourd’hui entièrement minée. Impossible de sortir du village. La forêt qui, à l’époque, était aussi dense qu’une jungle, a été totalement dépossédée de ses arbres précieux et même de son âme. L’endroit semble définitivement maudit». F.H
La pagode
« La pagode de Veal Molou, où j’ai été relâchée, se trouve à trois kilomètres de la plantation de Krek. Le jeune vénérable Chin Rim a vingt-cinq-ans et la beauté d’un jeune bouddha. Je lui montre une photo d’époque de la pagode et une autre du vénérable Pak, le bonze qui nous a fait libérer, mon frère et moi. Le vénérable Pak est mort en 1972. C’était l’ami de mon père. Chin Rim est ému, il ne l’a jamais connu, mais il sait tout de lui et de l’histoire de ces deux enfants otages qui se transmet dans le village comme une légende, de génération en génération.
Il m’invite à m’asseoir dans la sala (la salle commune) et fait alors venir tous les akas (prêtres bouddhistes) et les vieux du village. Aussi, un par un, je fais leur portrait, un portrait très classique devant une porte en bois de la pagode. Je ne suis pas coutumière de ce genre de procédé photographique, mais cette fois, il me permet de graver tous ces hommes et toutes ces femmes dans ma mémoire. Pendant la prise de vue, je prends le temps de scruter leurs visages comme si j’essayais de lire dans leurs yeux et dans leurs rides l’histoire du Cambodge ces cinquante dernières années ». F.H
La chambre dans la pagode
« La nuit tombe tôt. Le soleil se couche sur les rizières, une brise légère se lève. Pour m’honorer, adultes et akas vont passer la nuit dans la sala. Une vieille femme s’approche de moi et me conduit à une chambre monacale où se dresse un bat-flanc qui servira de couche. Est-ce bien la chambre de mon enfance ? ». F.H