France, Carnet de campagne, 2022
En commande pour Le Monde, Guillaume Herbaut a sillonné l’Hexagone, de Colombey-les-Deux-Églises à Marseille, pour saisir l’ambiance de la campagne présidentielle en France pendant quatre semaines, jusqu’au soir du résultat du second tour.
Colombey-les-Deux-Églises, 17 mars 2022
Portrait de René Piot, sur le parking du Mémorial Charles de Gaulle.
René Piot est le porte drapeau de l’amicale gaulliste de Haute Marne depuis plus de vingt ans. Il est d’abord le dernier visiteur du Général. Le 9 novembre 1970, à 14 h 30, il s’était rendu à la Boisserie, la demeure des de Gaulle. Il a raconté l’histoire mille fois. Et pourtant, quand on l’entend, on a l’impression que c’était hier.
Mme de Gaulle tricotait dans le salon, le Général l’a reçu dans le bureau. Pas de verre offert, mais un accord de trouvé pour un problème de fermage. M. Piot était agriculteur. « Le lendemain, comme tous les Français, à 8 heures, j’ai appris sa mort, j’étais sous le choc. Vous vous rendez compte ? Je suis la dernière personne à l’avoir vu, à lui avoir serré la main. »
« Aujourd’hui, ils se réfèrent tous à de Gaulle, il n’y a pas que la droite, il y a l’extrême droite, il y a tout le monde qui vient ici, ça fait sourire, quoi. » A Colombey, la mémoire de De Gaulle n’est pas que dans les discours. La preuve, la mairie vient d’accueillir 80 familles fuyant l’Ukraine. Une forme de résistance.
Lorient, 19 mars 2022
Son pseudo est « topyou » sur Le boncoin.fr. Elle vend une yaourtière SEB, une montre connectée, des clips pour lunettes Adriana Karembeu et le dernier livre d’Eric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré, 2021). Elle revend toujours les livres après les avoir lus. Elle a donné rendez-vous sur le parking du Lidl, boulevard du Scorff, où elle arrive avec sa Mini. Elle a 58 ans. Elle est gérante d’une société en copropriété. Elle est divorcée sans enfant. Elle ne votera pas Zemmour au premier tour.
« Il n’a pas la carrure, (…) je vote Le Pen depuis longtemps. En 2002, c’était déjà le cas. Pour moi, c’est l’immigration le plus important. J’ai peur du « grand remplacement ». Bien sûr, pour les réfugiés ukrainiens, c’est bien, mais il faut peut-être penser d’abord aux Français avant de pouvoir les aider. En France, il y a trop de charges et, pour réussir, nos jeunes doivent partir travailler à l’étranger. Non, ce ne seront pas des immigrés, mais des expatriés. »
Paris, 22 mars 2022
Durant un conseil municipal de la mairie de Paris, dans la salle du conseil de l’hôtel de ville, Anne Hidalgo au centre et l’ambassadeur Ukrainien en France Vadym Omelchenko ainsi que toute les personnes du conseil observent une minute de silence pour les morts en Ukraine avant d’accorder à l’unanimité la citoyenneté d’honneur à la ville de Kiev ainsi qu’une enveloppe humanitaire d’un montant d’un million d’euros.
Amiens, 24 mars 2022
Portrait de Patrice Sinoquet, délégué CFDT, dans les locaux abandonnés de l’entreprise Whirpool
« C’est tchernobyl, ici. Un Tchernobyl industriel. » Patrice Sinoquet fait visiter les locaux abandonnés de l’entreprise Whirlpool avec son collègue Frédéric Chantrelle. Ils ont accompagné le départ des 300 ouvriers qui fabriquaient des sèche-linge.
« On faisait des ruptures conventionneblles à 57 ans pour que les gens aillent jusqu’à 60 ans avec leur chômage. » Devant une série de photos de collègues, ils se souviennent d’Alain. Il est mort d’un arrêt cardiaque deux mois après son licenciement. « Il avait 58 ans. Il avait fait trente-cinq années ici. Il avait acheté un camping-car pour profiter de la vie avec les sous de la négociation. Il s’était fait plaisir. Il a pas roulé avec. » Ils voient la photo de Didier, l’ancien délégué syndical qui avait formé Frédéric Chantrelle. « Pareil, un arrêt cardiaque à 62 ans, le 5 février 2016. Il n’a pas bénéficié d’un an de retraite. »
Les politiques ? Ils ont vu Le Pen sur le parking, pendant la campagne présidentielle en 2017, puis Macron. « Le grand déballage, pour rien. Du vent, des repreneurs bidon, par contre, la tristesse des gens, elle est toujours là. » Macron est revenu deux fois à Whirlpool. L’usine a fermé quand même.
Mantes-la-Jolie, 25 mars 2022
Il y a la queue à l’entrée du Salon de la chasse à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Des hommes, pour la plupart. A l’intérieur on trouve des carabines, des cibles en forme de lapin, des safaris africains, des vêtements, de la taxidermie et un stand de tir de ball-trap. On y croise Antoine Diers (à gauche sur la photo), directeur adjoint de la stratégie de campagne d’Eric Zemmour, accompagné de Christophe Hameline (au centre), de la commission chasse du parti Reconquête! Cheveux au vent, lunettes noires, ils tirent. Aux deux jeunes militants des « chasseurs avec Zemmour », ils réclament « une photo officielle ».
« On est venus expliquer aux chasseurs qu’il y avait un seul candidat qui était un véritable soutien de la chasse. » Ils sont arrivés il y a « une petite heure », déambulation, admiration devant un fusil « viril », serrage de mains. On s’étonne qu’il n’y ait pas d’autres politiques. Antoine Diers part trente minutes plus tard. Christophe Hameline tracte à la sortie avant de retourner à Paris, avenue Montaigne.
Dijon, 28 mars 2022
Un bain de foule comme un ballet. Une centaine de personnes, 82 journalistes, des gardes du corps et, au centre, Emmanuel Macron. C’est son premier « vrai » déplacement en tant que candidat, à Dijon, le 28 mars. Les gens crient, le touchent.
On entend « Macron président ! », mais aussi « Macron démission ! »
Un adolescent : « Macron, le sang ! »
Une femme : « Avec l’essence, on n’en peut plus, aidez-nous, je vous en prie ! »
Un homme : « La retraite à 65 ans, on n’en veut pas. »
On lui porte des enfants, on lui prend la main. On ne veut pas le lâcher. Chacun veut son selfie. La danse continue pendant plus d’une heure trente. Et, au loin, une petite fille crie : « Macron, y es-tu ? que fais-tu ? où vas-tu ? »
Oise, 30 mars 2022
Portrait de Yannick Jadot, candidat écologiste à la présidentielle.
8h45 : le car de l’équipe de campagne du candidat écologiste, Yannick Jadot, accompagné d’une dizaine de journalistes, quitte Paris pour Conchy-les-Pots, dans l’Oise. Une heure et quarante-cinq minutes de route. La dernière rangée a été prise par une équipe de jeunes photographes. Yannick Jadot s’assoit dans les premiers rangs. Ils lui ont pris sa place favorite. Du haut de son 1,89 mètre, il ne peut pas allonger ses jambes entre les sièges. Pains au chocolat, repos et blagues accompagnent le voyage. On plaisante en voyant des pylônes électriques le long de l’autoroute A1. « Franchement, elles sont belles, les éoliennes de Xavier Bertrand. »
10 h 30 : le bus s’arrête devant un distributeur automatique de baguettes. Visite d’un centre de santé neuf mais vide, faute de médecins. « Ce n’est pas possible que 10 % de la population n’ait pas accès à un médecin.» Il faut « qu’il y ait une installation obligatoire des médecins pendant leurs trois premières années. »
11 h 21 : le bus repart. Toujours pas la bonne place pour les jambes de Jadot.
11 h 43 : déambulation dans le bourg de Margny-sur-Matz et ses 550 habitants. Le maire écologiste, Baptiste de Fresse de Monval, parle du problème des transports.
12 h 51 : déjeuner dans le dernier commerce ouvert du village, la petite auberge. On entend que la terrine de sanglier est très bonne, mais aujourd’hui c’est poulet et haricots. Au milieu du repas, Jadot et son équipe s’éclipsent discrètement pour coller l’affiche de sa campagne, loin des photographes. « On l’a fait sans les médias, sinon on n’aurait gardé que cette image de la journée. L’important, c’est de parler de la ruralité. » Au même moment, la photo apparaît sur le compte Instagram du candidat.
14 h 22 : départ pour Paris. « Ah ! ces bus ! je ne peux pas allonger mes jambes! » « Tu veux que je leur dise de te laisser ta place ? » « Non, ça va, laisse la place aux jeunes. »
Saint-Cloud, 31 mars 2022
Portrait de Jean-Marie Le Pen, ancien candidat du parti d’extrême-droite du Front national.
« J’attends d’aller à l’Elysée. Je n’y suis pas allé moi-même, mais, quand ma fille va être élue présidente, elle m’invitera, j’espère ! Pas sûr. Ah ! Ah ! Non, mais, à ce moment-là, j’aurais cessé d’être compromettant. »
Jean-Marie Le Pen est assis à son bureau au premier étage de la demeure familiale de Montretout, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Son musée. Lui en photos, lui en peintures, lui en dessins. Des piles de livres, les journaux d’extrême droite Présent et Rivarol, des fanions du Front national et une figurine de Jeanne d’Arc. Il vient tout juste de recevoir sa carte d’électeur. « Enfin que demande le peuple ? Du pain et des jeux ! Les jeux, c’est la téloche ! (…) J’en ai fait beaucoup des campagnes. J’ai parcouru la France dans tous les sens en voiture en prenant beaucoup de risques. Quand il n’y avait pas encore de limitations de vitesse, avec mon chauffeur, on roulait à 210 sur les autoroutes. (…) Le fait que ma petite-fille, Marion [Maréchal], supporte Zemmour, cela n’a aucune importance. Avant il faisait 12 %. Maintenant qu’elle le soutient, il fait 10. (…) La couleur de ma cravate ne vous gêne pas ? – Elle est parfaite. – Que demande le peuple ! »
Orvilliers, 2 avril 2022
Le chargé du protocole des cérémonies de la préfecture des Yvelines vient d’avoir une petite frayeur. La gerbe de fleurs du président de la République a été livrée à la dernière minute. Tout doit être prêt à 11 heures pétantes pour la cérémonie en hommage à Georges Pompidou, à l’occasion du 48e anniversaire de son décès, au cimetière d’Orvilliers, le 2 avril. On aligne les gerbes par ordre protocolaire : celle de l’association mémorielle Le Souvenir français d’abord, puis celles de la famille, de la maire, Marie Flis, du conseil départemental des Yvelines, de la sénatrice, Sophie Primas, du député, Bruno Millienne, et enfin celle du président.
Mickaël Letellier, troisième adjoint à la mairie, et Xavier Marot, premier adjoint, hissent le drapeau et préparent la sono pour lancer La Marseillaise grâce à un téléphone. Ils enlèvent leurs écharpes tricolores, le protocole n’autorisant que celle de Mme la maire.
Les trois porte-drapeaux arrivent, suivis d’une dizaine de personnes. On reconnaît Alain Pompidou, le fils adoptif du couple présidentiel, à son chapeau et à son écharpe bleue. « Mon père a été le véritable successeur du général de Gaulle. Le général de Gaulle, c’était la France, Georges Pompidou, c’étaient les Français. Il était tourné vers les autres. Aujourd’hui beaucoup d’hommes politiques ne le sont pas. (…) Il n’a pas d’héritier politique (…), mais les gens relisent ses discours et notamment celui de Chicago, fondateur pour la protection de l’environnement. »
Minute de silence, dépôts de gerbes, un bouquet s’envole, on lance La Marseillaise, la sono ne fonctionne pas. On finit a cappella.
Paris, 3 avril 2022
Sur les murs du pavillon 6 du Parc des expositions de la porte de Versailles, les affiches « La jeunesse, c’est Pécresse ! » entourent le public de 5 000 militants. Une centaine de jeunes du parti Les Républicains donnent tout pour le dernier grand meeting de Valérie Pécresse. Ils crient : « Valérie ! Valérie ! Valérie ! » Ils chantent : « Si tu votes pour Valérie, tape dans tes mains ! » Ils scandent : « Macron c’est Hollande ! » Ils tentent de lancer, en plein discours, une Marseillaise, sans effet direct sur la salle. Ils croient encore en leur championne.
Derrière eux, dans la première rangée, des militants plus âgés ne sont pas de très bonne humeur. Au nom de Sarkozy, ils ne savent plus s’ils doivent huer ou applaudir. Ils chassent les photographes qui leur cachent la vue : « Assis, couché ! » Et demandent aux jeunes de se taire : « Chut ! on n’entend rien ! » A la fin du meeting, après l’appel de Valérie Pécresse, « Rejoignez-nous ! Rejoignez-moi ! », les jeunes vont sur scène. Certains dansent. D’autres font des selfies. Les vieux sont déjà partis.
Essuiles, 5 avril 2022
Portrait de Jimmy Leboucher, entraineur de chiens.
« À la présidentielle de 2017, au duel Macron-Le Pen j’avais voté blanc, aujourd’hui je voterai Marine Le Pen. »
Jimmy Leboucher mord l’affiche de campagne de Nicolas Dupont Aignan pour empêcher le vent de la faire voler. Il est le référent départemental du parti Les Patriotes, de Florian Philippot. Il a 41 ans. Il travaille dans le monde canin.
« Je suis dresseur de chiens de compétition. Vous apprenez vraiment à reconnaître un chien à son mordant. Un homme politique, il faut l’étudier, analyser le personnage. Macron, il est comme un teckel. Il est toujours à 100 000 volts et s’agite pour un oui, pour un non. Marine, c’est plus un bouledogue. Le côté râleur, plus ou moins posé et faut le réveiller un peu pour qu’il comprenne. »
Il a rejoint Florian Philippot il y a deux ans. Son premier engagement politique. Il ne s’est jamais senti proche de Jean-Marie Le Pen, le trouvant trop « racial, comme Zemmour », pourtant, en 2002, il avait voté pour lui au second tour. « J’étais en contradiction totale avec lui. Mais de voir des manifestations contre le Front national, cela m’a révolté. Je trouvais cela antidémocratique. Et sachant qu’il n’allait pas passer, j’ai voté pour lui, alors que j’étais plus pour Chirac. » Déçu par Nicolas Sarkozy (« le référendum sur l’Europe, cela a été une trahison »), il a voté Dupont Aignan en 2017 et 2022. Dimanche 24 avril, ce sera « tout sauf Macron ».
Trappes, 5 avril 2022
C’est à la toute dernière minute que les portes de la halle culturelle de la Merise, à Trappes, (Yvelines) s’ouvrent. Les militants de La France insoumise viennent assister au meeting en hologramme de Jean-Luc Mélenchon, qui se déroule dans douze villes de France simultanément. Debout devant la scène, on pense aux premiers spectateurs des lanternes magiques.
Le maire de Trappes, Ali Rabeh, et la députée de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain, ont le rôle des animateurs : « Nous sommes les descendants des révolutionnaires de 1789, de 1848 ! De la Commune ! Du Front populaire ! » « Envahissez les réseaux sociaux ! C’est comme cela que nous montrerons à la fois notre divorcité, pardon notre diversité, et la force de notre collectif. »
Un appel à remplir des chèques pour financer la campagne, puis c’est le noir. Tous regardent la scène. Mélenchon apparaît. Il n’est plus sous la lumière. Il est devenu lumière. Tout est millimétré. Sur scène, l’illusion d’optique de l’hologramme est parfaite : l’image se reflète sur un plan incliné à 45 degrés. Mais il suffit de se décaler pour que ça bascule et se déforme. Pour voir l’hologramme parfaitement, il faut rester bien droit.
Plailly, 10 avril 2022
Karine attend devant l’attraction Discobelix, au parc Astérix. Elle est venue de Bourges avec cinq amis: « On avait déjà réservé nos billets et on ne savait pas qui choisir, alors on n’a pas été voter. »
Un tour de manège plus tard, il y a Carole, Claudette et Margot, trois générations de femmes venues de Carvin (Pas de Calais), avec un groupe de 10 personnes. Ils sont tous allés voter ce matin avant de partir. « On a fait nos devoirs! », disent-elles en rigolant.
Plus loin, Adeline et Florien déambulent dans l’exposition « L’aventure d’Astérix ». Ils ont la trentaine, viennent de Lyon et travaillent dans un laboratoire : « On n’a pas voté aujourd’hui. Dans tous les cas, on aurait voté blanc. On ne se retrouve dans aucun programme. »
Patrick et Nathalie, eux, ont voté. « Mais vous savez, on a 68 et 67 ans, alors, quel que soit le résultat, on n’est pas inquiets. »
Dans l’arène romaine, Gaulois et légionnaires combattent sous l’œil de César. Ce dernier demande au public de voter pour les gagnants des épreuves. Une parodie de démocratie. C’est à celui qui criera le plus fort. Le public, unanime, soutient les Gaulois. A la sortie du parc, l’un des gardiens vient d’avoir le chiffre des visiteurs de la journée : « 7000, c’est moins qu’attendu, mais vous savez, aujourd’hui, c’est un grand jour, c’est celui des élections. »
Saclay, 13 avril 2022
On est accueilli par des sourires. On nous dit bienvenue, et on nous offre le café. Il y a quelques cabanes faites à partir de palettes de bois. En plein milieu des champs, le long de la départementale 36, à Saclay (Essonne), une zone à défendre (ZAD) lutte contre la construction de la ligne 18 du Grand Paris Express depuis mai 2021. Ce métro doit relier Orly à Versailles en passant par le plateau de Saclay. Pour la photo, tout le groupe se réunit et tend la banderole.
« L’arrivée du métro, c’est la première marche à la bétonisation, c’est le cheval de Troie de l’urbanisation du plateau. » Lorine a passé toute sa vie à Orsay, la ville voisine. Après avoir fait une thèse en génétique, elle va se reconvertir : « Je vais devenir paysanne. » « Avant, je n’ai pas vraiment eu de parcours militant. C’est important de prendre conscience de son territoire. Il faut que les citoyens se réapproprient les aménagements territoriaux car cela nous impacte tous. » Le résultat du premier tour de la présidentielle ? « Je suis triste. D’un côté, il y a le capitalisme, de l’autre le fascisme. Aucun ne lutte contre le dérèglement climatique. Il n’y a pas d’espoir. »
Marseille, 16 avril 2022
« Louis XVI, on t’a décapité ! Bourgeois, on peut recommencer ! » Une dizaine de « gilets jaunes » se sont réunis devant le café PMU Le Pharo. Juste en face de la sortie du meeting d’Emmanuel Macron.
Il y a Florence et son mari, Jean-Paul : « Je me battrai jusqu’au bout, monsieur ! Le gouvernement veut que nous devenions des mendiants. » Ils sont tous les deux retraités de la restauration. « À nous deux, on gagne 1 500 euros par mois. On est obligés de faire de la distribution dans les boîtes aux lettres pour Carrefour, Leclerc. C’est de la survie, monsieur. Cela nous fait gagner 500 euros en plus. On a le prêt de 600 euros de notre appartement encore pour trois ans et il y a les charges. »
Autour: « Macron fasciste! Voleur ! Eborgneur ! » Le ton monte. Un homme veut frapper toute personne avec caméra ou appareil photo. De l’autre côté, des militants endimanchés pro-Macron agitent des drapeaux. Il y a des femmes des quartiers Nord : « On va pas voter Le Pen tout de même ! C’est toujours pareil, pour un match ou pour les présidentielles, les gens, ils s’entre-tuent! »
Perpignan, 15 avril 2022
Plus de 700 pénitents de la procession de la Sanch marchent sous le soleil à Perpignan. Ils ne s’étaient pas réunis depuis deux ans. Ils maintiennent une tradition vieille de plus de six cents ans créée par le dominicain Vincent Ferrier, qui prêchait l’acte de pénitence afin de sauver le monde déchiré par la guerre et les divisions religieuses.
Jean-Louis les observe derrière son appareil photo. Il n’est pas croyant, il parle de la Catalogne. « A Paris, on ne comprend pas que l’on peut avoir deux identités en même temps. Je suis né catalan, je parle catalan, et je me sens aussi français. On ne peut pas m’enlever cela. Marine Le Pen? Il y a un dicton catalan qui dit “Tu n’as pas soulevé le pied que je t’ai déjà vu la semelle”. Et Macron ? C’est un banquier. Je suis emmerdé, mais il ne faut pas que l’extrême droite passe. »
À la fin de la procession, Christian, un pénitent, relève sa capirote, chapeau traditionnel. « Derrière ma cagoule, je rentre en moi comme dans un isoloir. Je n’ai pas cessé de penser à la guerre en Ukraine. C’est chez nous, en Europe. Les Ukrainiens que j’ai rencontrés me disent qu’ici, c’est le paradis. »
Plus loin, un autre pénitent : « Il y a un temps pour rire. » Et puis, il pleure.
Bois de Vincennes, 18 avril 2022
« Il faut dire au président Macron qu’il y a Prince Serry qui vit dans le bois de Vincennes et qui attend vraiment un geste de sa part. » Prince Serry, musicien franco-ivoirien, a 59 ans. Il fait du reggae. Il vit dans une tente depuis 2014. Mais il n’est pas coupé de l’actualité : « Dimanche je vais aller voter, on n’a pas le choix. »Né en Côte d’Ivoire, il a passé une partie de son enfance dans le 16e arrondissement de Paris. Son père était expert-comptable. « En 2010, j’ai voulu revenir en Côte d’Ivoire. J’étais parti pour créer une école de musique et des festivals. J’avais pris un conteneur avec 300 000 euros de matériel et plus de 3 000 CD de mon album Prisonniers de Babylone ».
La guerre civile éclate. Le port d’Abidjan est pillé. Son matériel volé. En 2012, ses positions politiques dérangent, il est arrêté arbitrairement et condamné à de la prison.Quand il rentre en France, en 2014, il n’a plus rien. Son seul refuge : le bois de Vincennes.« Depuis, je suis aux oubliettes. Je joue dans les salles, les festivals. C’est mon métier, même si je n’ai pas d’endroit pour dormir. »
Paris, 24 avril 2022
Nous sommes dans le taxi de Serge, à Paris, le 24 avril. Il a voté Mélenchon au premier tour et Macron au second.
À 19 h 20, Charis, 24 ans, serveuse dans un restaurant du 1er arrondissement, monte pour une course. Elle a voté deux fois « utile ». La première pour Mélenchon, et la seconde pour Macron. « Même si je considère qu’il fait aussi une politique d’extrême droite. Il n’est pas atteint par la situation en outre-mer, ni par celle des réfugiés. Il instaure un système injuste. » Elle descend dans le 6e arrondissement rejoindre sa mère pour regarder, angoissée, les résultats de l’élection.
Yves, la cinquantaine, la remplace sur la banquette arrière. « Je m’en fous des résultats. Je ne vote pas. Même si je suis plus Le Pen que Macron. C’est la fin de la République, la fin de la civilisation. On est des vassaux des Etats-Unis. » Il sort à la mairie du 15e.
Il est 19h45. Il n’y a presque personne dans les rues. Le taxi roule. La radio est allumée. À 20 heures, Serge est soulagé. Il prend Halime qui vient tout juste d’arriver du Cameroun. C’est une Française expatriée. « J’avais fait une procuration. Il ne faut pas se faire voler son vote. J’ai voté Macron. Plus de 41 % pour Le Pen, c’est très fort. » Elle s’arrête sur les Champs-Elysées.
Un couple grec entre. Ils sont venus fêter la Pâques orthodoxe avec leur sœur en France. Le convoi présidentiel passe devant le taxi. « On était très inquiets du résultat. On a en Grèce, les mêmes partis d’extrême droite. Cette victoire, c’est la nôtre aussi. » Ils dînent au Pavillon Ledoyen.
Serge continue jusqu’aux Champ-de-Mars. Le président Macron vient de finir son discours. Le public monte sur la scène. La fête est déjà finie.