Femmes sous influence, 2019-en cours
Si mon approche de la photographie pourrait être qualifiée de « naturaliste », je provoque en revanche les situations et « terrains de jeu » fertiles à la production d’images.
Ayant une pratique personnelle assez quotidienne et instinctive, les sujets s’imposent souvent à moi, parfois avant et pendant la production d’images. Des recherches théoriques (littéraires, philosophiques, documentaires ou même sociologiques) viennent alors aiguiller la forme que prend mon travail. Mes séries peuvent également être le résultat d’un équivalent cinématographique de montage : en prenant le soin de consulter mes archives et photos quotidiennes réalisées de façon spontanée, il se dégage parfois des obsessions, des récurrences qui me permettent de comprendre, d’isoler et d’approfondir des sujets.
Pour la série ici présentée, il s’agit avant tout de portrait, où la vulnérabilité fait force. Ce sont des amies et des connaissances qui incarnent ici plusieurs versions de femmes, et en même temps il ne s’agit que de portraits, un instant arrêté dans lequel se joue une représentation.
Elles sont présentées dans leur singularité mais aussi dans une idée plus large de la représentation de la femme, de ce qu’elle incarne, et de ce qu’elle devient. Il est donc question de leur rapport à elles-mêmes, à leur corps dont il émane parfois une grande sérénité et d’autre fois une sorte d’inconfort inhérent. Ces portraits sont une vaine tentative d’accéder à leur intimité, leur intériorité qui me rapproche en tout cas des miennes.
Tu ne crois pas que je comprends ?
Rêver vainement d’exister.
Ne pas avoir l’air, être réellement.
A chaque instant consciente, vigilante.
Mais un abîme sépare ce qu’on est pour les autres et pour soi-même.
Sensation de vertige et désir constant d’être enfin découverte.
D’être mise à nu, découpée en morceaux et peut-être même anéantie.
Chaque information, un mensonge,
Chaque geste, une tromperie,
Chaque sourire, une grimace.
Se suicider ?
Oh, non !
C’est affreux.
Ça ne se fait pas.
Mais on peut être immobile
Et silencieuse.
Au moins, on ne ment pas.
On peut se replier, on peut s’enfermer en soi.
Alors plus de rôle à jouer, plus de grimace à faire, plus de geste mensongé.
Du moins, on croit.
Mais la réalité est obstinée.
Ta cachette n’est pas étanche.
La vie s’infiltre partout.
Tu es obligée de réagir.
Personne ne se demande si c’est réel ou non, si tu es vraie ou fausse.
Il n’y a qu’au théâtre que ces questions comptent. Et encore…
Je te comprends Elisabeth.
Je comprends que tu te taises, que tu sois immobile.
Que tu aies monté cette apathie en un système fantastique.
Je te comprends et je t’admire.
Tu devrais jouer ce rôle jusqu’à ce qu’il soit épuisé.
Qu’il ait perdu tout intérêt.
Alors tu l’abandonneras.
Comme, petit à petit, tu as quitté tes autres rôles.
Extrait de Persona d’Ingmar Bergman.