Enfances, 2007
Tout est parti d’une petite photo encadrée qui était chez mes beaux-parents. Cette image était posée sur un vieux secrétaire et un jour j’ai entrepris de la photographier. En l’examinant de plus près, j’ai découvert une chose étrange…
Le septième anniversaire
C’est une petite photographie de famille somme toute assez banale, comme on en voit souvent dans les albums de famille ou bien qui trônent en bonne place sur le buffet familial. C’est un portrait. Il y a le père, la mère et les deux fils. Tout le monde s’est mis sur son 31, c’est un jour important, un anniversaire. Cette photographie est anodine dans la forme et pourtant exceptionnelle : à bien y regarder, si l’on s’approche et que l’on détaille les deux garçonnets qui se tiennent debout entre le père et la mère, quelque chose cloche : les deux positions ne « collent pas ». Cette photo est truquée, oui truquée. On a rajouté quelqu’un.
Le petit garçon de droite, c’est le père de ma belle-mère, photographié entre ses deux parents. Ils sont allés en ville et se sont adressé au meilleur artisan photographe. Ils ont posé de manière préméditée, en laissant un espace pour leur premier garçon, mort sept ans plus tôt d’un mauvais coup au ventre dans une cour d’école. Et puis ils ont donné au photographe un portrait de lui en demandant de bien vouloir le rajouter…( vous pouvez faire cela n’est-ce pas ?)
Cette photographie est troublante parce qu’elle pose une question centrale en photographie: le temps et la mort, troublante parce qu’elle montre et exprime mieux que de grands discours la douleur épouvantable et inextinguible de parents face à la disparition de leur enfant.
Etrange et touchante photographie où figurent deux êtres qui portent le même nom, mais qui ne se connaîtront jamais, rassemblés artificiellement sur cette photographie qui “ment “d’amour.
Et puis j’ai eu à mon tour des enfants. Une fille d’abord, que nous avons prénommée Adèle, puis, quelques années plus tard un garçon, Simon. Tout naturellement, comme tout papa qui se respecte, j’ai photographié leurs premiers pas, leurs premiers sourires, leurs premiers jours d’école. Un peu pour garnir l’album familial, un peu aussi pour retenir ces moments uniques et s’en mettre quelques tranches de côté, pour plus tard…
Au bout de quelques années, je me suis aperçu que ces images au delà de leur aspect familial pouvaient représenter un certain intérêt photographique, alors j’ai continué à chroniquer au jour le jour leurs évolutions respectives.
Je voudrais ne jamais arrêter et un jour, lorsqu’ils seront adultes, leur offrir un album de famille digne de ce nom.
Je repense à cette étrange photographie, certes morbide, mais si touchante, et à toutes les merveilleuses photos de familles qui garnissent les albums. C’est un aspect souvent négligé, voire méprisé de la photographie, mais peut-être un des plus importants. Contribuer à se construire une mémoire familiale.