En mer, 2018
L’axe migratoire Libye – Italie est le plus meurtrier au monde, 3% de décès en 2016. Plus de 180.000 réfugiés ont atteint les côtes italiennes, laissant derrière eux environ 4500 personnes qui ont perdu la vie en cherchant à les atteindre.
Depuis sa mise en service en février 2016 par l’association SOS Méditerranée, l’Aquarius, a sauvé 23.687 vies. Le navire arpente les côtes libyennes depuis l’Italie. Il ne tarde pas à lancer des tours de garde et guette toute embarcation susceptible d’être secourue. SOS Méditerranée a répondu au besoin pressant d’entreprendre des opérations de sauvetage des hommes, des femmes et des enfants qui quittent la Lybie pour rejoindre l’Europe avec l’espoir d’une vie meilleure. Pour ce faire, l’association a récolté des financements de donateurs privés et de subventions publiques afin de louer le bateau et pour pallier aux frais quotidiens d’entretien et de sauvetage. Sur le navire des équipes de SOS Méditerranée, mais aussi de Médecins Sans Frontières sont prêts à venir en aide aux réfugiés. Les garde-côtes et les militaires italiens travaillent avec eux et conduisent souvent à l’Aquarius les canots en provenance de Libye.
Leur action se déroule en 3 temps, sauver des vies, accompagner et protéger les rescapés et sensibiliser l’opinion publique et ceux qui ont le pouvoir décisionnel sur la situation en Méditerranée. Des navires comme l’Aquarius sont nécessaire pour la survie de milliers de personnes. Celles-ci fuient la Lybie car les conditions de vie y sont déplorables. Ils ont souvent déjà quitté leur pays d’origine, Somalie, Maroc, Egypte, Guinée… pour ne trouver qu’horreur et violence, subir des extorsions quotidiennes et demeurer dans la peur face aux explosions. Sur les eaux, ils sont en transit. Certains soulagés pensent être arrivés au bout de leurs peines, que le pire est derrière eux, pourtant la traversée est extrêmement dangereuse. Sur de petits canots gonflables ou autres embarcations de fortune, un accident est vite arrivé. Collés les uns aux autres pendant plusieurs heures les hommes se battent fréquemment et il arrive que l’un d’eux tombe à l’eau et se noie. En hiver l’eau est glaciale et la mer plus facilement déchaînée, naufrages et hypothermie sont monnaie courante. Malnutrition, déshydratation et maladies accompagnent les réfugiés jusqu’à l’Aquarius. Ils préfèrent prendre un risque ultime plutôt que demeurer entre la vie et la mort en Lybie.
“J’ai quitté mon pays parce que tout est difficile là-bas. La vie est dure la vie est chère rien ne marche. Je n’étais pas bien. Je ne dormais plus. J’avais de mauvais rêves. Ma mère m’a parlé de l’Italie et elle m’a dit que en Italie il y a la paix, le travail, la liberté…tout ce dont un être humain a besoin. On a décidé de partir. On a pris un vol pour Tunis puis on a du marcher dans le désert pour traverser la frontière. Arrivées en Libye on a étés traumatisées par des groupes armés rebelles qui nous frappaient. Un jour ils nous ont mis sur un bateau, ils nous ont insulté et frappé avant de nous laisser à la mer. Et puis on a été sauvé…”
Kate, 32 ans, Cote d’ivoire, le 10 Décembre 2018, sur l’Aquarius, Mer Méditerranée, Eaux Internationales.
« En Cote d’Ivoire c’est interdit de faire l’excision mais mes tantes m’ont fait ça quand j’avais 12 ou 13 ans. Ça m’a fait très mal je saignais beaucoup. Mon père ne voulait pas mais mes beaux parents m’ont attrapé avec ma grande sœur et ils nous ont fait ça. Tout le monde sait que l’excision enlève le plaisir donc c’est difficile par après de trouver un copain…j’ai beaucoup souffert. J’ai trouvé enfin un copain et je suis tombée enceinte mais j’ai eu une fausse couche à 9 mois et il m’a quitté. A ce moment j’ai pensé à quitter ma vie aller en Italie changer tout, grandir mes enfants sans leur faire du mal comme on fait ici.
Mais sur la route j’ai eu plein de problèmes. En rentrant en Libye ils nous ont kidnappé et ils nous ont mis dans une maison : ils tiraient des coups de fusil près de nos oreilles, ils nous battaient et giflaient…une nuit un des hommes qui nous gardait m’a pris et m’a violé. Il s’est couvert le visage avec un foulard avant de faire ça. Ils le font tous. Quand il a fini j’étais tellement en panique que j’ai eu mes règles…
J’ai fui et j’ai pris un bateau mais le moteur s’est cassé tout de suite et on a pas pu sortir de Libye. J’ai retenté la traversé un mois après mais les libyens nous ont attrapé et ramené dans une prison. Là ils nous frappaient, mes copine étaient violées, ils nous donnaient rien a manger…un jour j’ai filmé des arabes qui maltraitaient des femmes et ils m’ont vu et ils m’ont frappé si fort avec les pieds…J’ai commencé a chercher de l’argent pour sortir et j’ai appelé un peu partout des amis. Finalement ma sœur a envoyé de l’argent et j’ai pu sortir de ce lieu. Je me suis cachée en ville pendant deux mois et puis j’ai décidé de retenter la traversé : je savais que je risquais de retourner dans cette prison mais je ne pouvais plus rester là…je pleurais tout le temps.
On a été chanceux et on a été trouvés par l’Aquarius. Maintenant je suis sauvée. Je sais que je pourrais avoir une vie normale en Europe. Je suis couturière à la base, je pourrais travailler dans ce domaine. Mais ce que je veux vraiment est d’être une grande femme, une femme battante, une femme qui ne baisse pas les bras. »
Audrey, 29 ans, Cote d’ivoire, le 10 Décembre 2018, sur l’Aquarius, Mer Méditerranée, Eaux Internationales.
“Il y a trop de violence en Libye, ce n’est plus possible de vivre ici. C’est trop dangereux. Même sortir de la maison c’est dangereux. Apres la mort de Kadhafi c’était bien pendant deux ans mais après ca a été le désastre. Vu que mon mari est un professeur d’école et que mon père travaillait a l’Ambassade libyque en Italie ils pensent que nous sommes riches et ils ont tenté plusieurs fois de kidnapper mon fils pour demander de l’argent. Une fois mon mari est sorti jeter la poubelle avec mon fils de 11 ans : ils lui ont tiré sur une jambe devant mon fils qui a du prendre la voiture et le conduire a l’hôpital petit comme il était ! Une autre fois mon mari allait amener mon fils a l’école et ils l’ont kidnappé. Ils m’ont appelé me demandant tellement d’argent que j’ai vendu tout mon or et mes sœurs m’ont aidé aussi et on a pu le sauver. Ce n’est plus possibile de vivre ici. Mon fils de 18 ans a fui en Allemagne sans rien me dire. Je l’ai su quand il était déjà la-bas. J’ai décidé moi aussi de prendre le bateau. Je devais choisir entre mourir en mer ou mourir par balle et j’ai préféré la mer. Maintenant qu’on a eu la chance d’avoir été sauvés je vais en Europe pour faire grandir bien mes enfants et pour retrouver mon fils. »
Aida, 41 an, Libye, le 10 Décembre 2018, sur l’Aquarius, Mer Méditerranée, Eaux Internationales.
« Je me suis marié a 14 ans et j’ai eu trois enfants très tôt parce que j’ai du arrêter d’étudier. Je n’avais pas de travail et la vie était très dure. Une amie m’a dit ‘allons étudier en Europe ce n’est pas tard pour nous’. J’ai dit oui et on est parties. On a marché dans le désert pendant longtemps et puis on est arrivées a Tripoli. On était dans une maisonnette et une nuit des hommes sont venus et ils ont pris mon amie avec eux. Elle est rentrée le matin elle saignait beaucoup…elle m’a dit qu’ils avait pris tout son argent et que cinq homme l’avaient violé. J’ai voulu aller chercher des médicaments mais elle m’a dit de ne pas sortir que sinon ils allaient m’attraper moi aussi et me faire la même chose qu’à elle. Je suis restée à coté d’elle et elle m’a confié sa petite fille de deux ans…elle me disait : ‘Pardon Alia…occupe toi de mon enfant, s’il te plait Alia…promets moi…’ et puis elle m’a dit ‘prends ma main’ et elle est morte comme ça, la tête sur mes jambes…c’était mon amie de mon village, mon école. C’est pour elle que je suis ici. Elle s’appelait Kadjatu. Ça fait un mois désormais. Apres j’ai décidé de partir. Mais j’avais peur. J’avais vu sur France24 les gens mourir sur ces bateaux. Mais suis partie. Quand j’ai vu le bateau SOS j’ai dit Dieu merci…mais après j’ai pensé tout de suite à Kadjatu…oh elle m’a manqué…et j’ai pleuré. Des que j’ai mis le pieds sur ce bateau j’ai pleuré. J’ai pensé a elle que j’ai laissé là-bas. A elle qui voulait aller étudier. A elle qui m’a donné le courage. Maintenant je vais étudier. Je vais le faire pour elle et pour moi. »
Alia, 22 ans, Guinee Conakry, le 10 Décembre 2018, sur l’Aquarius, Mer Méditerranée, Eaux Internationales
« Dans notre pays il y a beaucoup de problèmes à cause des présidents. La police t’arrête, les bagarres, ils viennent a ta maison…les gens te frappent…moi j’ai fui avec ma grande sœur. Mon grand frère est en prison depuis cinq ans – lui même m’a dit de partir. On est allé prendre le bus et j’ai perdu ma sœur au début du voyage. Je ne sais pas ou elle est. Moi j’ai continué. J’ai pris le bus jusqu’à Agadez et puis c’était la Libye. Je me suis retrouvée dans une chambre où je n’avais pas à manger et des gens me frappaient. Ils m’ont dit d’appeler ma mère pour demander de l’argent mais je leur ai dit que ma mère n’a pas d’argent et ils m’ont frappée. Puis un homme m’a aidé a sortir et me suis retrouvée sur un bateau pour l’Europe. Je ne sais pas combien il a payé pour mon voyage mais il m’a dit que je dois le rembourser quand j’arrive en Europe. On a passé toute la nuit dans l’eau je n’avais vu l’eau j’ai eu tellement peur. Puis on a vu l’Aquarius et j’ai pensé que j’allais enfin dans un endroit où les gens ne te frappent pas et ou tu peux travailler. Je peux faire toute sorte de travail moi… »
Farida, 21 ans, Togo, le 10 Décembre 2018, sur l’Aquarius, Mer Méditerranée, Eaux Internationales.
“J’ai quitté la Syrie en 2011 et je suis allée en Libye avec mon mari. Ils nous disaient qu’il y avait du travail là-bas parce que avec la mort de Kadhafi les choses allaient s’améliorer. Ma maison avait été détruite. A l’époque j’avais seulement un enfant de 7 mois. On a fui a travers le Liban en voiture, puis on a pris un avion jusqu’au Caire et puis on a mis trois jours a arriver en Libye. A ce moment la on était bien il y avait du travail on a vécu bien pendant deux ans. Mon mari faisait le peintre en bâtiment. Moi j’étais coiffeuse. La famille de mon mari était aussi avec nous tandis que la mienne était restée a Damas. En Libye j’ai eu encore deux enfants. A ce moment la les choses ont commence a se détériorer : un jour on était en voiture des gens armées nous ont arrêtées, ils nous ont fait descendre de la voiture et ils nous ont laissé a pied. J’avais deux enfants et on est resté au milieu de la route seuls dans la nuit. On a décidé de changer de ville. Mais la ils ne payaient plus mon mari. A chaque fois qu’il demandait l’argent ils lui mettaient le fusil a la tête. Un jour mon mari est allée les dénoncer a la police et après quelque jour des hommes sont venus et ils ont poignardé mon mari dans la jambe. Pour continuer a travailler il devait payer. Et plus le temps passait plus il devait payer. Nous avons terminé notre argent. On en pouvait plus. Nous sommes allés chercher un bateau. Je priais…j’avais tellement peur pour mes enfants sur ce bateau…mais j’avais plus peur de la Libye que de la mer. Nous étions 16 sur un tout petit bateau en bois. Quand nous sommes arrivés la mer était grosse on a vu un bateau et on a demandé de nous aider mais ils nous ont laissé puis on a vu un grand bateau rouge et blanc qui est venus nous sauver. Je crois que c’était des italiens. Moi je ne veux qu’être en sécurité avec mes enfants et leur donner une bonne vie, c’est tout.”
Rim, 24 ans, Syrie, le 10 Décembre 2018, sur l’Aquarius, Mer Méditerranée, Eaux Internationales.
« Quand mon père est mort j’étais toute petite et j’ai du arrêter d’aller a l’école. Peu après ma mère aussi est morte et je suis restée toute seule. Je me suis mariée a 13 ans et j’ai eu deux garçons. Mais mon mari me maltraitait et ne s’occupait pas de mes enfants. Un jour j’ai décidé de laisser mes enfants à ma belle mère et de partir. Suis allée travailler chez un libanais a Abidjan. Celui-ci m’a forcé de coucher avec lui. Je suis tombé enceinte et lui il est parti. J’ai accouché d’une fille et mon amie m’a aidé : elle a pris mon enfant avec elle a Abidjan. Apres j’ai rencontré un homme qui m’a parlé de Tunis et il m’a dit qu’il allait m’aider a trouver du travail là-bas. Une fois arrivée par avion il m’a dit qu’il fallait que je rembourse le billet : il a pris mon passeport et il m’a dit qu’il fallait que je travaille chez des gens gratuitement pendant six mois. Apres deux mois je me suis enfuie, j’avais très peur et je ne savais pas quoi faire alors je suis rentrée dans un salon de coiffure d’une femme africaine et je lui ai raconté mon histoire. Elle m’a aidée en me donnant un peu de travail et puis elle m’a parlé de la Libye. Mais moi j’avais peur de la Libye, je connaissais leur guerre. Je me suis faite convaincre et je me suis retrouvée dans un camps avec beaucoup de gens. Après trois jours ils nous ont mis sur un bateau, c’était un petit canot on était très nombreux. Nous n’avons pas mangé pendant trois jours … des gens voulaient se jeter dans l’eau… on priait… puis un bateau libyen nous a ramené en Libye et la police nous a amenés en prison. Ils disaient qu’ils allaient nous rapatrier j’étais si contente de rentrer chez moi mais après quelques jours ils nous ont pris seulement nous les femmes et mises dans une prison pour femmes. Je n’ai jamais eu de peur dans ma vie comme dans ce lieu : ils frappaient les femmes enceintes, ils ne donnaient pas à manger, ils nous tapaient avec les fusils sur la tête…A un moment ils voulaient me violer aussi j’ai couru dans la mosquée et ils m’ont laissée…mais une femme à cote de moi a été frappée si fort…ils sont venus pendant trois nuits pour la battre…elle priait seulement et puis elle est morte…elle était forte mais elle morte, comme ça…a coté de moi…
Apres 6 mois un journaliste français est venu, il nous demandait de parler mais on avait peur parce que si on nous voyait parler on nous frappait. Je suis sortir de là-bas grâce a une dame libyenne qui cherchait une travailleuse. Elle me donnait à manger et puis elle a commencé a me dire : « Italia ? » Je lui disait que non que je voulais juste rentrer chez moi mais une nuit elle m’a pris dans sa voiture et elle m’a amenée sur la plage et la j’ai vu le bateau. J’avais tellement peur…je tremblait et je pleurait : « mais qu’est ce que j’ai fait dans ma vie de mal ? » les autres me disaient que ça allait aller et d’arrêter de pleurer. Mais les vagues sont montées et j’ai eu à nouveau peur…elles étaient hautes les vagues et j’avais si peur…au but de 11 heures les espagnoles sont venus nous sauver et j’ai pleuré que Dieu m’ait sauvé…
Maintenant que je suis vivante je ne pense qu’a retrouver mes enfants : les deux garçons que j’ai laissé tous petits encore et la petite Nadia à Abidjan qui va bien tôt avoir 9 ans… »
Aisha, 33 ans, Cote d’Ivoire, le 10 Décembre 2018, sur l’Aquarius, Mer Méditerranée, Eaux Internationales.
« J’ai quitté l’Érythrée il y a quatre ans parce que je suis Chrétienne et que les chrétiens sont persécutés dans mon pays, ils te mettent en prison. En plus j’avais peur du service national parce que je suis diplômée et donc j’ai fui au Soudan. J’ai travaillé a Karhtoum comme institutrice à domicile pendant un moment mais par après j’ai décidé de partir en Europe, qui est pour moi une terre d’opportunité, de paix et de sécurité. Je suis allée en Libye avec une voiture. Je suis restée dans une maison avec d’autres gens pendant sept mois parce que dehors dans les rues il y a la guerre. Parfois ils venaient dans la maison aussi prendre des gens mais ils ne m’ont jamais pris parce que j’accompagnais une dame malade. J’avais si peur qu’ils viennent nous violer, tuer ou nous rendre des esclaves. Les trafiquants ont aussi fui à un moment car ils avaient peur d’être tués eux aussi. Ils nous ont aidés à joindre le bateau sur la plage par téléphone. Et donc je me suis retrouvée sur le bateau en plastique avec 115 personnes. On a été sauvés par Open Arms. Maintenant j’espère que ça ira mieux. J’espère pouvoir continuer mon éducation et devenir une avocate. »
Salam, 34 ans, Érythrée, le 10 Décembre 2018, sur l’Aquarius, Mer Méditerranée, Eaux Internationales.