Dark Circus, 2020
Dark Circus est une série d’autoportraits produits à Londres pendant le confinement dû au Covid-19.
Vers la fin du mois de mars, après quelques jours d’incrédulité face à la situation, j’ai commencé à passer de plus en plus de temps dans mon studio. J’ai été surpris par ce qui en a émergé : des images inspirées du cirque, un monde que je ne connais pas ni qui m’intéresse particulièrement. Au fur et à mesure que je m’amusais avec le maquillage, les tissus et les costumes que j’avais accumulés ces dernières années, j’ai vu naître des personnages qui sont devenus mes modèles imaginaires, remplaçant ceux que je ne pouvais photographier dans la vraie vie. Je me suis attaché à cette étrange troupe de cirque se produisant pour un public absent. Certains personnages attendent dans leur loge dans un état d’incertitude, de la même manière que la pandémie m’a obligé à interrompre mon travail.
J’avais besoin de m’éloigner des rues désertes, des nouvelles angoissantes et de la folie sur internet. Comme le dit Blanche DuBois dans Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams : «Je veux de la magie, pas du réalisme! »
Seul dans mon studio, j’ai commencé à réfléchir au sens du cirque, et à la façon dont nous avons parfois besoin d’un moment et d’un lieu spécifiques pour nous échapper et recréer un monde parallèle où nos peurs, nos bonheurs, nos espoirs et nos désirs quotidiens apparaissent sous de nouveaux habits.
Je vois le cirque comme un lieu sombre rempli d’êtres travestis éclairés par la lumière artificielle nous racontant des histoires et des mensonges que pourtant nous croyons, pendant quelques instants fugaces. Impermanent, construit dans un « no man’s land », loin des conventions, le cirque est loin de la vie «normale».
Nés de la frustration de ne pas pouvoir photographier des modèles, investis du désir d’être connecté aux autres, j’ai commencé à aimer mes personnages et à les comprendre: le funambule qui a le vertige, la femme du lanceur de couteaux qui demande notre aide, les sœurs siamoise qui semblent n’être qu’une pauvre illusion créée fait par une personne très seule. Ils semblent souvent en difficulté, ne sachant plus si le cirque est un refuge ou une prison, comme pris au piège dans des clichés d’un divertissement parfois grotesques. Je reconnais en eux mon désir désespéré de célébrer la vie à une époque d’incertitude et de tragédie. Quelque part dans ce «Dark Circus», il y a un sentiment sous-jacent d’espoir et de liberté que cette situation radicale a offert de façon inattendue à beaucoup d’entre nous. J’ai remarqué que de nombreuses personnes anxieuses ou déprimées autour de moi ont admis que le confinement avait en fait provoqué chez eux un profond sentiment d’appartenance au monde. Pour la toute première fois de leur vie, l’étrange et sourde tension de l’extérieur faisait écho à leur monde intérieur.