Congo in Limbo, 2007-2010
Congo in Limbo est l’essai photographique réalisé par Cédric Gerbehaye en République démocratique du Congo, fruit du temps passé sur place et de son engagement rigoureux. Son regard rend compte de la complexité et des méandres d’un conflit méconnu.
Dans Congo in Limbo, personne ne rit. Cela s’explique. Car quiconque a visité le pays sait que le rire – le défi insolent de la joie face à la tragédie – y est un passe-temps national. Et pour cause : Léopold II et la vile course à l’ivoire et au caoutchouc naturel, les troubles qui ont suivi l’indépendance, trente-deux ans de « kleptocratie » de Mobutu, et tout cela pour tomber entre les mains de Kabila, d’abord Senior, puis Junior… Il vaut mieux rire pour ne pas continuer à pleurer ! Et, en effet, le Congo rit et pleure, sauf « à la frontière de l’enfer ».
C’est là que la théologie catholique romaine situe « la demeure des âmes justes », qui ont vécu avant la venue du Christ, et des enfants qui meurent non baptisés. Ils doivent rester dans les limbes jusqu’au second avènement du Sauveur. Au Congo, les frontières des États limitent cette salle d’attente pour les malheureux. Ils ne sont ni coupables ni innocents mais, comme leur pays, simplement perdus dans la transition : poussés dans un cul-de-sac, mis sur le tapis roulant de l’histoire. Ils vivent dans le passé d’un espoir qui ne s’est jamais concrétisé, au milieu des ruines d’un monde qu’ils n’ont jamais construit. Ils vivent dans un éternel recommencement qui attend, en vain, le grand jour.
Nyramana, 29 ans, Camp de Nyanzale.
« Depuis le mois de novembre, nous entendions des coups de feu tous les jours. Nous avons passé de nombreuses nuits à nous cacher dans la brousse, mais les groupes armés nous poursuivaient et ont pillé et détruit tout ce que nous avions dans notre maison. C’est pour cela que nous avons fui et que nous nous sommes installés ici dans le camp de déplacés de Nyanzale. Un jour, je suis retournée dans nos champs pour prendre de la nourriture près de Mihara. Là, deux hommes ont essayé de me violer. Nous nous sommes battus et ils m’ont rossé de coups de bâtons jusqu’à ce que je sois à bout de force et là ils m’ont violée. Je me suis faite soigner car j’avais peur d’avoir été contaminée. Maintenant, j’ai peur de l’avouer à mon mari. Je ne saurai par où commencer pour lui expliquer. Je crains qu’il me répudie ».
Joseph, 14 ans, enfant soldat démobilisé au centre Don Bosco à Goma, Nord-Kivu.
« J’ai été enrôlé de force dans un groupe Mayi Mayi. On m’a injecté un talisman pour ne pas être atteint par les balles. Comme militaire, il n’y a que de la souffrance, aucune joie. Maintenant, j’aimerais étudier et si j’ai mon diplôme continuer à l’université ».
Moise, 14 ans, enfant soldat démobilisé au centre Don Bosco à Goma, Nord-Kivu.
« Je suis entré au CNDP de ma propre volonté. Je tenais la radio de mon commandant et ne portais pas d’armes sauf quand il dormait, là je tenais son arme pour le garder. Après sa mort, l’ennemi nous a poussé jusqu’à Ngungu. C’était un combat en face à face et j’ai eu la chance d’être envoyé à la rivière pour y puiser de l’eau, et c’est alors que j’ai pu m’enfuir. Maintenant, je veux rentrer chez moi car j’ai un champ que mon père m’a laissé lorsqu’il est décédé ».
Raymond, 14 ans, enfant soldat démobilisé au centre Don Bosco à Goma, Nord-Kivu.
« J’étais en deuxième secondaire lorsqu’on nous a dit d’aller compléter les effectifs des PARECO (Patriotes Résistants Congolais). J’étais chef d’escorte du colonel. Je dirigeais un petit groupe de jeunes militaires, c’est moi qui les plaçais, personne n’avait à discuter. C’est ainsi que nous sommes arrivés sur le champ de bataille ».