Chevaux, 1985
Le Noir et Blanc et le format carré, l’envie du cadrage et du mouvement à l’intérieur du carré dont elle balance la rigidité naturelle. Ses chevaux, comme tout « objet » photographique, deviennent alors prétexte et, chevaux dans la réalité des champs de course, des stalles, des pâturages, des manèges ou des écuries, ils se prêtent en photographie à tous les jeux. Au portrait tout d’abord quand, avec un rien d’approche psychologique et beaucoup de tendresse, leur regard passe de la tristesse à une noblesse hautaine, que la pupille, dans la sensualité d’un bougé, laisse échapper un rien d’interrogation ou que, trouant le graphisme d’une cagoule, le rond de l’œil dit la détermination.
Portraits émus et émouvants, bouleversants parfois d’une larme coulée sur les poils éclairés, près de la finesse d’un naseau palpitant, lourds de solitude aussi, inquiets d’une proximité de regard ou épuisés après l’effort. De vrais portraits qui occupent le cadre, se laissent trancher avec quelque violence par le carré, isolant le détail d’un visage devenu tension entre une forme et la rencontre de deux expressions.
Mais, très vite, cela ne suffit pas. Le portrait, fut-il de chevaux, se sait guetté par le formalisme. Passons au paysage, avec des crinières, noires ou blanches, agitées par le vent, qui moutonnent des matières organisées en collines, se transforment parfois en écume, se marient aux lignes de fuite de la prairie, font croire que la robe pommelée est devenue organisation de galets.
Horizons de muscles fins, rivières de veines gonflées sous la finesse du pelage, de près de tout près, les chevaux deviennent organisation de matières sensuelles parce que la lumière les caresse différemment, selon les angles et les distances choisies. La photographe alors pratique parfois la nature morte pour chevaux bien vivants. Taillant dans des croupes qu’elle transforme en sculptures élégantes et massives, sombres, parfois irréelles de transparence, Agnès Bonnot s’attache à la perfection de formes données par la nature et polies par la brosse. Elle se laisse parfois aller, à cause encore des formes, au cadrage des éléments d’un manège, sculptures de cuir dans l’espace où l’on tourne, pour une vision quelque peu médiévale, simplement étonnée de la beauté d’un objet ou d’un poitrail. (…)
Christian Caujolle