Carnets, 2006
Un état d’esprit. Une manière de voyager aussi. Promener cette étrange petite boite noire devant ses pas et la nourrir de lumière. C’est le carnet de route, Moleskine, ce petit bout de rien, sur lequel on couche tout : ses observations, assis sur un muret, contre un arbre ou dos au mur. Les mots sont griffonnés à la hâte, nul travail sur la phrase, esquisser seulement. Des mots-images. Il faut faire vite, ne rien perdre. Tout s’organisera plus tard, une fois rentré. Les carnets photographiques répondent peu ou prou aux mêmes règles. Il s’agit de saisir, quelquefois un peu au jugé, des moments, des scènes ou des lieux avec l’idée de faire quelque chose, mais plus tard. Le carnet ne répond à aucun cahier des charges. C’est l’anti-reportage. La liberté totale. Que cherche-on ? la réponse viendra plus tard. S’il fallait oser une comparaison, ce serait un peu du free-jazz, de l’improvisation. Ménager les hasards, leur faire place. Alors le photographe se fait pécheur à la ligne, il ne compte plus son temps, il observe.
Il attend l’image, ce drôle de truc qu’il est bien infichu de définir. D’ailleurs, il la sent plus qu’il ne la voit. Les vues s’enchaînent et la lumière baisse, bientôt il fera nuit. Il sera temps de rentrer. Je ne conçois guère que cette façon de « travailler » en voyage. De toutes manière, tant de choses nous échappent qu’il serait bien vain d’essayer de tout comprendre in situ. Alors il faut prendre. Prendre tant qu’on est là. Il sera bien temps plus tard, en regardant sa moisson d’images, de comprendre. Une fois prises, les images sont captives. C’est du moins ce que l’on croit. Jusqu’au jour où elles vous révèlent encore et encore des surprises ou des découvertes. Des fois, elles finissent par s’organiser, par se répondre, elles entendent former un tout, enfin c’est ce que l’on s’imagine. C’est à ce moment que les mots peuvent rentrer en scène. S’appuyant sur les images, ils retrouvent du sang neuf, et la mémoire s’éveille à nouveau. Tel détail dans l’image réveille tel souvenir qu’on pensait disparu. Alors on peut écrire.