Brésils – Sao Paulo, 2008-2011
On ne saurait penser une ville sans la considérer dans sa dimension sociale. Car, derrière ses remparts hier, dans ses tours aujourd’hui, dans ses quartiers centraux, dans ses périphéries, dans les interstices que tissent les voies de communication, ce sont des sociétés qui s’installent, cohabitent tant bien que mal, s’affrontent parfois, cherchent des règles et des modes de vies acceptables et c’est dans les villes, plus qu’ailleurs, que les processus de marginalisation et d’exclusion s’installent. Et, au fur et à mesure que, en raison de processus spéculatifs, les centres historiques deviennent trop chers pour qu’y habitent des classes moyennes, ils se vident de leur substance vitale et deviennent des ghettos. Pour le photographe qui se donne pour objectif d’explorer et de tenter de comprendre le monde contemporain, la ville est un champ d’expérience sans pareil.
C’est dans ce cadre qu’il convient d’approcher l’enquête photographique menée pendant plus d’un an, à Sao Paulo, par Ludovic Carême, photographe français ayant choisi cette ville comme cité d’adoption. Il a centré son regard sur une petite favela, Agua Branca et, dans une approche radicalement inscrite dans la tradition et l’esthétique documentaires, il nous invite simplement à voir.
Agua Branca n’est pas une favela spectaculaire et n’a rien à voir avec la beauté parfois vénéneuse des constructions qui escaladent les collines de Rio. Agua Branca est simplement une imbrication chaotique de constructions en bois surplombant des égouts à ciel ouvert – il s’agit là d’une indéniable violence supplémentaire – dans laquelle tentent de survivre quelques centaines de personnes. Des familles pauvres et marginalisées, beaucoup de jeunes, beaucoup d’enfants, beaucoup d’humanité aussi, et autant de drames quotidiens et de désespoir permanent.
Ludovic Carême a su – et il a pu le faire grâce à l’intercession de Brito, pénétrer la communauté, gagner sa confiance et œuvrer dans la sobriété. Pas d’anecdote, des constats sans effets pour donner à voir la fragilité des constructions et leur destruction brutale lors de l’expulsion – parfois accompagnée de relogement – des habitants.
A chaque fois que je suis allé à Agua Branca, au-delà de la tristesse qui m’a envahi à l’écoute des récits des désastres quotidiens, s’est inscrite dans ma mémoire la vision du paradoxe permanent : juste à quelques dizaines de mètres de la favela, au-delà des égouts, une grande surface fort bien achalandée vend des matériaux de construction, du carrelage, des fenêtres, des portes et tout ce qu’il faut pour construire, améliorer et décorer une maison confortable…
C’est tout simple, mais il faut sans cesse le rappeler : une favela, avant tout, ce sont des gens. Nos contemporains.
Christian Caujolle