Blue, 2014
Dernier travail réalisé par Manit Sriwanichpoom, “Blue” présente une série de nus féminins et masculins aux poses contorsionnées.
Comme le suggère le titre de la série, chaque photographie est entièrement baignée d’un bleu profond et intense. Les corps nus se plient et se tordent, ou s’infligent des positions impossibles à tenir. Leurs peaux diaphanes semblent luire d’un bleu étrange face à ce fond bleu abyssal aux nuances d’indigo.
Dans un mouvement de rupture nette avec ses précédents nus, notamment ceux de la série “Obscene”, les modèles féminins et masculins sont ici dépouillés de leur sexualité, existant plutôt en tant que statues androgynes prenant une série de poses torturées. Cette forme de représentation corporelle renvoie plus largement aux thèmes de la répression et de la frustration politico-sociale.
Les poses convoquent celles de l’iconographie chrétienne du sacrifice, qui est déjà un thème proéminent dans l’oeuvre de Manit Sriwanichpoom. (Le nu féminin au torse relâché et drapé sur un tabouret en bois rappelle l’ «Agnus Dei » de Zurbaran ; « Embryonia » (2007), un nu masculin contracté et allongé sur le dos cite évidemment la Pieta de Michel Ange.)
Le bleu étant l’une des trois couleurs du drapeau thaïlandais, il peut être perçu comme une référence à l’identité nationale thaï – une identité polarisée, dont la liberté et les droits semblent être de plus en plus compromis. Présentés dans cette lumière (bleue), les modèles ne sont plus seulement torturés et paralysés, mais craignent aussi d’être rendus muets et aveugles.
Pourtant la série “Blue” possède une telle beauté qu’elle transcende la violence politique et le malaise social. En observant ces images bleues de corps nus, on ne peut s’empêcher de penser aux “Monochromes” et aux “Anthropometries” d’Yves Klein où ce dernier se servit de modèles nus comme de “pinceaux vivants” pour créer ces expériences artistiques pures.
Tout comme les évocations outremer de l’infini de Klein, les compositions bleues de Manit nous transpercent de la teinte hypnotique des océans et des cieux. Les corps, bien que « déformés » et tordus, évoquent encore un combat profondément humain, et peut-être alors une lueur d’espoir, du moins dans le domaine de l’esthétique.
La série « Blue » est repésentée par la Adler Subhashok Gallery.