Après le Rana Plaza, 2015
Né au Bangladesh, Ismail Ferdous a vécu parmi les personnes liées de près ou de loin à l’industrie textile. Deux ans après l’effondrement du Rana Plaza et durement marqué par cet évènement tragique, Ismail Ferdous a continué à photographier le quotidien des victimes et de leurs familles alors que les médias internationaux étaient passés à d’autres tragédies ailleurs dans le monde.
En documentant la vie des victimes du Rana Plaza, il explore la façon dont leur vie a changé et les défis auxquels elles font désormais face. S’engager sur ce sujet, témoigner c’est pour Ismail Ferdous tenter de donner une voix et des visages aux victimes de l’industrie textile qui remise de la catastrophe, poursuit l’exploitation des bangladais dans d’autres usines.
À l’heure actuelle, de nombreuses entreprises internationales de l’habillement responsables de ce drame n’ont pas toujours pas indemnisé les victimes qui ont subi la perte de proches, pour certaines la perte de leur capacité de travail et d’autres souffrent de troubles de stress post-traumatique.
Afin de tenir ces entreprises pour responsables et éviter d’autres catastrophes, Ismail Ferdous plaide pour que les histoires des victimes du Rana Plaza soient mises en avant et fassent l’objet d’une visibilité et d’une sensibilisation internationales.
Rozina Akhter, 30 ans, originaire de Manikganj, était coincée sous une poutre lors de la catastrophe du Rana Plaza. La poutre est tombée sur sa taille et elle s’est évanouie. Après un certain temps, elle s’est réveillée et a remarqué qu’elle ne pouvait pas bouger.
Elle raconte : « Avant le drame du Rana Plaza, je gagnais mon argent et vivais ma vie comme je l’entendais. Mais maintenant, je suis coincée à la maison en tant que personne handicapée. Je ne peux rien faire sans l’aide d’une autre personne. Avant, j’avais une bonne vie, je travaillais seule, je gagnais de l’argent et je m’occupais de tout, mais maintenant, je ne peux plus vivre seule. J’ai besoin de l’aide de ma mère et de ma sœur pour tout ce que j’ai à faire, même les tâches ménagères. Si je veux porter un sac lourd avec des courses, je ne peux même pas le faire. Je dois demander de l’aide à mon mari. Je me sens vraiment mal dans cette situation. Parfois, j’ai envie de mourir plutôt que de vivre cette vie où je dois constamment demander de l’aide aux gens ». Bien qu’elle soit handicapée et qu’elle ait du mal à accomplir les plus petites tâches quotidiennes, elle essaie de faire tout ce qu’elle peut, de la cuisine pour sa famille à la préparation de sa fille pour l’école le matin.
Le jour de l’effondrement du Rana Plaza, Raihan Kabir, 24 ans, était coincé sous une lourde machine utilisée pour coudre des jeans et des pantalons. La machine est tombée sur ses jambes et il est resté coincé pendant 14 heures et demie avant d’être finalement secouru. Malheureusement, il était trop tard pour lui. Il a d’abord été emmené au CMH (Combined Military Hospital) de Dhaka, puis transféré dans un autre hôpital.
Il raconte : « J’ai entendu le médecin dire que ma jambe droite était infectée et qu’ils ne pouvaient pas la sauver. Ma jambe me faisait tellement mal que je ne pouvais pas la supporter. Je leur ai demandé d’amputer ma jambe droite. Je ne pouvais plus supporter la douleur. Ce ne sera pas un problème. Après une autre opération, je me sentais un peu mieux. Ma jambe ne me faisait plus mal. Après l’opération, comme je me sentais un peu mieux, ils m’ont transféré au CRP. »
Raihan Kabir a aussi perdu sa petite amie, une collègue de travail au Rana Plaza, morte lors de l’effondrement : « J’ai toujours sa photo avec moi. Je la regarde à chaque fois qu’elle me manque. Quand je vois sa photo, je me sens mieux. »
Mohammad Shahin et sa femme travaillaient tous deux dans l’usine de confection du Rana Plaza avec leurs proches. Son jeune frère Belal Hossain est toujours porté disparu.
« Mon petit frère a disparu et maintenant je ne peux pas travailler. Mes parents ne veulent pas qu’un autre de leurs fils disparaisse si nous travaillons à nouveau dans la confection et que le bâtiment s’effondre. Ils souffrent déjà beaucoup de la perte de leur plus jeune fils. Si j’accepte un emploi maintenant, et qu’un accident survient, tout redeviendra comme avant. Aujourd’hui, mes parents peuvent voir leurs enfants devant eux, mais peut-être que l’incident du Rana Plaza peut se reproduire, et ils ne pourront pas le supporter. Nous demandons à notre gouvernement de nous accorder une compensation, compte tenu de notre situation. Il est difficile pour nous de survivre ».
Pour aller de l’avant, la famille de Mohammad Shahin cherche à obtenir une assistance pour soigner ses blessures et une aide psychologique. Bien qu’ils n’aient pas encore obtenu de réponses sur la disparition du plus jeune frère, Belal, ils aimeraient quitter Savar et recommencer leur vie dans leur village d’origine, à Jamalpur, une ville côtière située à l’extérieur de Dhaka.
« Nous voulons travailler comme volontaires au Bangladesh. Mais nous sommes au chômage et nous cherchons donc un bienfaiteur qui nous apportera son soutien. Comme nous n’avons pas d’emploi, nous sommes incapables de nous déplacer. Lorsque des accidents se produisent, nous ne pouvons pas nous rendre sur place pour aider car nous n’avons pas d’argent. Nous serons reconnaissants si le gouvernement ou d’autres personnes nous aident », dit Mobarak Hossain.
Shobuj Hosain Ridoy (23 ans) avec sa mère. Il était secouriste lors de l’effondrement du Rana Plaza.
« Nous avons entendu l’histoire de la guerre de libération, l’histoire de nombreuses personnes mortes, mais nous n’avons jamais vu de nos propres yeux. Lorsque le Rana Plaza s’est effondré, nous avons eu l’impression d’entrer dans une zone de guerre. Nous avons reçu la bénédiction de notre mère avant d’entrer dans la zone de guerre. Je suis fier de prendre part à cette bataille. »
Sa mère ajoute : « Je ne les ai pas laissés partir pour de l’argent. Certaines personnes ont demandé combien d’argent j’avais reçu. Je n’attendais rien. Je voulais juste que le nom de mon fils soit crédité. J’ai dit mon fils, Allah t’aidera. Les parents des personnes que tu as sauvées prieront pour toi. Nous n’avons pas besoin d’argent. »
Mosammat Rehana Akhtar, originaire de Jessore, a émigré à Savar dans l’espoir d’une vie meilleure. Elle travaillait chez New Wave Textile Limited, au 7e étage du Rana Plaza. Dans l’accident, sa jambe a été enterrée et a dû être amputée pour qu’elle survive.
« Une de mes mains et mes deux jambes sont paralysées. Je ne peux plus marcher désormais. J’ai été blessé à la tête. Il y a trop de complications de santé maintenant. J’ai mal à la tête et je souffre de fièvre très fréquemment » – Mosammat Momota Khatun, victime de l’effondrement du Rana Plaza.
Rabeya Khanam, victime de l’effondrement du Rana Plaza, allongée sur les genoux de sa mère.
Rabeya Khanam et sa sœur travaillaient toutes deux au Rana Plaza. Elles sont originaires du district de Borguna. Rabeya a aujourd’hui 18 ans mais n’en avait que seize au moment de l’incident tragique. Les deux sœurs ont commencé à travailler dans l’industrie du vêtement pour aider leur famille en difficulté financières.
Sa mère déclare : « Mes filles avaient disparu et, comme toutes les autres mères du monde, je me sentais mal. Lorsque j’ai retrouvé une de mes filles mais que je n’ai pas pu récupérer l’autre, j’ai pensé que je ne la retrouverais jamais. Je priais continuellement Allah pour que je puisse retrouver mes deux filles. »
Ismail Sikhder a perdu sa femme Nazma, 37 ans, lors de l’effondrement du Rana Plaza.
La photo de Nazma avec son fils est le seul souvenir qu’il lui reste.
Rahima recherche son frère disparu, Azam Kahan sur le site de l’effondrement en 2013.
« Si je pouvais trouver le corps de mon frère, nous aurions pu le toucher et l’enterrer et nous pourrions nous consoler l’esprit qu’il ait eu un enterrement correct ».
Le frère de Rahima, Azam Khan, et sa fille Bilkis travaillaient dans des usines de confection situées au Rana Plaza. Bilkis et Azam se sont rendus au travail le jour fatidique. Bilkis est revenue vivante, mais aucune trace d’Azam…
Amena, victime de l’effondrement du Rana Plaza, s’estime à la fois chanceuse parce qu’elle a pu s’en sortir vivante, et en même temps malchanceuse parce que le traumatisme physique et mental causé par cette horrible expérience l’a changée à jamais.
« Mon projet pour l’avenir est de faire de ma fille un médecin. Depuis que je l’ai eue, j’en rêve. Je veux qu’elle soigne tout le monde ». Nazma vit aujourd’hui avec son mari Ashraf et sa fille Ariana. Elle a un emploi et de grands rêves pour leur avenir.
Mahinur Akhter est l’une des survivantes de l’effondrement du Rana Plaza. Elle travaillait dans l’usine Fantom au 4ème étage. Le jour de l’accident, elle a commencé à travailler à 8 heures du matin, car son superviseur lui a dit que si elle ne finissait pas son travail rapidement, il lui ferait faire des heures supplémentaires la nuit.
Mahinur avait 13 ans lorsqu’elle a commencé à travailler au Rana Plaza, et lorsque le bâtiment s’est effondré, elle y travaillait depuis trois ans. Tous ses amis ont été tués dans la catastrophe, mais elle a survécu.
Shagor est le fils de Jahanara Begum (morte au Rana Plaza). Il a quelques années de moins que sa soeur Shagorika, qui a 11 ans.
La perte de leur mère dans l’effondrement du Rana Plaza provoque des bouffés d’angoisse chez le jeune homme.
Après la catastrophe du Rana Plaza, Sheuli a rencontré Mohammad Al Amin Hossain, avec qui elle peut espérer une vie meilleure.
Sheuli s’est mariée à Mohammad Al Amin Hossain quelques mois après la catastrophe du Rana Plaza et il la soutient depuis.
« Ma moelle épinière a été blessée et je n’ai pas reçu de traitement approprié. Je ressens toujours des douleurs lorsque je travaille » Taslima Akhter, victime de l’effondrement du Rana Plaza.
Taslima travaille désormais dans une nouvelle usine de confection : « Aujourd’hui, les travailleurs n’ont pas de congés quand ils en ont besoin. Ils doivent assurer de nouveaux objectifs puisque le salaire a été augmenté. »
« J’ai encore peur lorsque les souvenirs de cet accident me reviennent à l’esprit. Lorsque la lumière est éteinte dans ma chambre, je peux entendre les gens crier dans le noir, alors je garde la lumière allumée lorsque je vais me coucher. »
Sur cette photographie: Taslima et ses amis au Rana Plaza. La plupart d’entre eux sont morts dans l’effondrement.
Fazle Rabbi a été tué dans l’effondrement du Rana Plaza.
Sa mère déclare « il avait beaucoup de rêves pour lui et pour nous. Il avait promis d’améliorer nos conditions de vie à l’avenir. Mais mon fils est parti quelque part d’où il ne reviendra jamais. Mon fils était très attaché à moi. Il disait toujours qu’il n’avait besoin de rien d’autre que de prendre soin de nous.
Quand j’ai entendu que le bâtiment du Rana Plaza s’était effondré, j’ai couru vers lui depuis notre maison. Quand j’ai vu que le bâtiment s’était complètement effondré, je n’ai pas su quoi faire. J’ai demandé à un type devant moi de me donner son téléphone pour que je puisse appeler mon fils aîné. Pendant les trois jours qui ont suivi, nous l’avons cherché dans tous les endroits possibles, mais nous ne l’avons pas trouvé. Nous sommes allés dans toutes les cliniques autour de Savar à plusieurs reprises, mais il n’y avait aucune trace de lui. Le 27 avril au matin, nous nous sommes rendus à l’hôpital médical d’Enam car nous avions entendu dire que des victimes des 4e et 5e étages du Rana Plaza avaient été secourues ce jour-là. Mais il n’y était pas. »
Le père de Fazle Rabbi : « Chaque fois que je vais devant le Rana Plaza, j’ai l’impression que mon fils va revenir soudainement. J’ai l’impression que mon Rabbi va revenir à moi et que je peux retrouver mon fils. Mais je sais qu’il n’est plus. Je vois tant d’autres enfants de son âge, et mon cœur souffre pour lui. Mon fils aîné nous a demandé de changer de maison, mais j’ ai refusé. Je lui ai dit que cette maison est attachée aux souvenirs de mon fils et que je ne quitterai cet endroit à aucun prix. »