1.2.3 Soleil, 2019
Un rectangle jaune, un carré rouge. Une, deux puis toute une suite de silhouettes dont les couleurs des larges tenues font échos aux murs peints. Des enfants en masque de carnaval pris dans une lumière franche : rarement la question sociale n’avait été posée avec un tel parti pris plastique emprunté au langage de l’art abstrait. Dans le quartier de Griffeuille à Arles, Tina Merandon est parvenue à dépasser l’image que l’on se fait des autres par une expérience photographique menée en intéraction avec les habitants.
Première hypothèse : vous ne savez rien de la commande passée à Tina Merandon. Seules les images viennent à vous, dans leur force plastique; la chorégraphie de silhouettes qui dialoguent avec l’architecture et surtout l’éclatant travail sur la couleur et les matières s’imposent. Manque les visages d’une population dont on devine les réserves, mais qui dans la logique élaborée par l’artiste parvient à devenir un jeu : 1.2.3 Soleil. On s’interroge alors sur le sens de cette esthétisation du lieu et des habitants.
Seconde hypothèse : vous êtes informé.e de la nature de la commande, du statut social de la cité Griffeuille, de l’empreinte de la religion et des traditons, de l’épreuve que doit surmonter la photographe pour être acceptée et surtout pour y pratiquer son art. On admire alors la patience et la confiance, la valeur des pratiques partagées avec les enfants, le lien qui se tisse avec les femmes. Et l’on se dit qu’aujourd’hui, la photographie a remplacé tous les autres arts pour tenter encore de faire société avec des populations reléguées. Mais l’art a-t-il vocation à devenir un pansement social ?
La troisème hypothèse est probablement la bonne. Tina Merandon s’est interrogée: comment formuler la question sociale dans un langage esthétique? En faisant des contraintes l’amorce d’un lexique formel (refus de poser, environnement d’architectures vétustes, impossibilité de montrer les intérieurs) en opérant ensuite une réduction de ce langage visuel afin de travailler avec des silhouettes, des couleurs et des matières. Tina Merandon parvient à parler une langue vivante de la modernité. Celle d’une géométrie colorée, d’une vétusté qui offre sa matérialité comme un ingrédient plastique : le tout résonne dans une lumière qui combine ces éléments en une sorte de grande tapisserie.
L’historien d’art pense alors au peintre Paul Klee qui, lors de son voyage à Tunis en avril 1914, admire la sobre architecture des maisons, la puissance du soleil, la capacité structurante de la couleur et la force des trames tissées. La découverte du chromatisme moderne par un peintre d’avant-garde en Afrique du nord fait écho au travail photographique de Tina Merandon. Dans ce quartier Griffeuille où vibre une culture du Maghreb, les éléments plastiques d’une tradition semblent recomposer le réel. Mais l’enjeu n’est plus seulement de nourrir une quête artistique: la question sociale est ici posée en termes esthétiques pour changer les regards.
Michel Poivert 2020