VISION #54 — Nolwenn Brod

 
 

« Dans l’infinité des phénomènes qui se passent autour de moi, j’en isole un. J’aperçois, par exemple, un cendrier sur ma table (le reste s’efface dans l’ombre). Si cette perception se justifie (par exemple, j’ai remarqué le cendrier parce que je veux y jeter la cendre de ma cigarette), tout est parfait. Si j’ai aperçu le cendrier par hasard et ne reviens pas là-dessus, tout va bien aussi. Mais si, après avoir remarqué ce phénomène sans but précis, vous y revenez, malheur ! Pourquoi y êtes-vous revenu, s’il est sans signification ? Ah ah ! ainsi il signifiait quelque chose pour vous, puisque vous y êtes revenu ? Voilà comment, par le simple fait que vous vous êtes concentré sans une seconde de trop sur ce phénomène, la chose commence à être un peu à part, à devenir chargée de sens…

  • Non, non ! (vous vous défendez) c’est un cendrier ordinaire.

  • Ordinaire ? Alors pourquoi vous en défendez-vous, s’il est vraiment ordinaire ?

Voilà comment un phénomène devient une obsession…
La réalité serait-elle, dans son essence, obsessionnelle ? »

Witold Gombrowicz, à propos de « Cosmos » (1966 ; 1981)

 
 
 
 

Je tombe sur ces mots tout en préparant l’entretien que je vais réaliser quelques semaines plus tard avec Nolwenn Brod, photographe et réalisatrice, membre de l’Agence VU’. Ils viennent d’un ouvrage – Cosmos, de l’écrivain polonais Witold Gombrowicz – que Nolwenn cite comme l’une des références majeures pour son travail (particulièrement pour sa série Le temps de l’immaturité).

Lire ces mots et penser qu’ils peuvent avoir inspiré — ou du moins interrogé — Nolwenn ne m’étonne pas : c’est vrai qu’on peut presque y voir une description, un commentaire sensible et précis de sa pratique photographique. Nolwenn Brod tisse ses récits photographiques en suivant la puissance des détails et des formes, à la recherche d’un rythme qui place au centre la rencontre — ce qui se passe entre elle et l’autre. Elle l’appelle « interstice ».

Je me dis d’ailleurs que c’est un auteur – Gombrowicz - que je ne connaissais pas avant. Je le découvre à travers le travail de Nolwenn Brod, justement. Je vois en cela l’un des bénéfices les plus évidents qui peut naître indirectement de l’intérêt pour cet artiste : le fait de se trouver d’un coup investi par tout un univers de références aussi variées que complexes, qui font d’elle une véritable photographe-philosophe. Soit : une photographe avec une énorme culture extra-photographique qui crée des images extrêmement réfléchies, mais pas désincarnées pour autant. Bien au contraire, ses images sont fortement ancrées dans le réel, pleinement sensuelles aussi.

J’ai tout cela en tête quand, cet après-midi de début d’été, j’arpente la ruelle du 20e arrondissement où Nolwenn habite. Tout ici est particulièrement silencieux et calme, à l’image du temps suspendu que l’on retrouve dans ses séries. Je me souviens de la délicatesse et de la pudeur de la série Le temps de l’immaturité, que j’avais vue à la Galerie du jour en 2021 ; du ton discret et de la sobriété presque religieuse du projet Les Hautes solitudes, exposé aux Champs libres à Rennes en 2023.

Dernière pensée avant de me retrouver assis devant elle, avec un verre de thé froid à la main, et d’entamer la conversation devenue le podcast que vous vous apprêtez à écouter.

 
 
Photo : Nolwenn Brod — Agence VU', Adèle, de la série Les hautes solitudes, première image décrite
 
 

Chaque vision est singulière, porteuse de sens et de changement. Le but de ce format est de rassembler de nombreux artistes et que chacun nous délivre sa vision et son expérience de la photographie.

 
 
 
 
 
Photos : Nolwenn Brod — Agence VU’, Gouren et autres visions, 2011-2014
 
 
 
 
 
 
 

« La photographie est pour moi une manière d’étreindre le réel ou de l’effleurer. »

– Nolwenn Brod

 
 
 
Photos : plus haut — Lutte au crépuscule, 2014
ici — La Ritournelle, 2015-2016
 
 
Photos : Nolwenn Brod — Agence VU’, Le temps de l’immaturité, 2018-2024 (en cours)
 

Partenaire :


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Crédits :

Un podcast réalisé et écrit par Nando Gizzi, produit par Aliocha Boi/Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Gaspar Claus et son projet Adrienne.

Liens :

nolwennbrod.fr
Agence VU’

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